Cercle Psychanalytique de Paris

Le RIEN

RIEN

–      Y-a–t-il quelque chose dans le rien ? Ne serait-ce que la plus minuscule et la plus inapparente des choses ?

–      Bon, je dessine un carré dans lequel il n’y a rien, tu vois ? Il n’y a rien.

–      Non, il y a du papier !

–      Je découpe le papier. Tu vois, il n’y a plus rien, c’est le vide !

–      Mais c’est par ce vide, ce trou, ce rien, que je vois toutes sortes de choses. Quand rien ne cache pas la vue… on voit.

–      Ceci montre, entre autres, le poids de la parole chinoise : lorsqu’on nous montre la lune du doigt, notre imbécilité regarde le doigt et… on dit qu’on ne voit rien, ou pas grand-chose et l’on est triste.

Rien, wu en chinois se dit « wu ». Il existe plus d’une douzaine de caractères différents pour signifier « rien », avec le sens de « sans », ou de « négation ». Généralement dans le Tchan, on utilise le caractère suivant : comme dans wu-nien, le concept central du Tchan, qu’on traduit étourdiment par « non penser » alors qu’il s’agit de la pensée que le rien permet de voir et de trouver. On le traduit aussi « par-delà la pensée » comme si par-delà la pensée, ce n’était pas encore de la pensée. Ce caractère est aussi utilisé dans le Taoisme, comme dans wu wei 無爲 que l’on traduit erronément par « non agir » alors qu’il s’agit de l’agir du rien qui permet toutes les trouvailles. « Rien », c’est ce qui dégage la vue et qui permet ainsi de voir et de trouver la solution des problèmes. Le caractère représente quatre arbres (les traits verticaux) que l’on coupe (les traits horizontaux) ou que l’on brûle (les quatre traits du bas signifiant le feu). L’idée générale est celle de « déboiser pour mieux voir ». « Rien » dans les cinq objets « petits a » de la psychanalyse est ce qui permet de produire les solutions : l’argent (fèces), le plus de jouir (le sein), et le regard qui dépend de la voix. Il y a encore un pictogramme très ancien qui évoque plus précisément l’érotisme du « rien ». Il s’agit de la représentation d’une femme tenant dans ses mains des queues de taureaux qu’elle fait tournoyer en dansant. Le Rien est fondamentalement la pulsion de jouissance. La jouissance est une pulsion continue qui traverse la vie et la mort. Elle est antérieure à la bifurcation des sexes. C’est ainsi qu’on peut dire non seulement qu’il « n’y a pas de rapport sexuel » mais qu’il n’y a ni mâle, ni femelle. Comme le soutient Foucault : « l’homme est mort » et comme dit Lacan « la femme n’existe pas ». C’est qu’avec la jouissance tout change, la femme se transmute en homme lorsqu’elle a des rapports sexuels avec un homme et l’homme se transmute en femme lorsqu’il a des rapports sexuels avec une femme. C’est ce que disait déjà le Tao (la voix véritable) dans son poème 28 : « La voix véritable sait être mâle en étant femelle, et inversement, sait être femelle en étant mâle », ainsi que l’enseigne aussi le I King dont le Tao est un commentaire. La jouissance continue, est donc absolue (sans exception), infinie (sans arrêt) et éternelle (« étreinte », anagramme d’éternité, étreinte donc des siècles, des siècles et des siècles, c’est du concret « encore et encore ». La vie se perpétue par le sexe. Antérieure à la bifurcation des sexes qu’elle inspire et nourrit, la jouissance fait surgir les talents dans la mesure même où elle n’est pas refoulée. « Tout est mesure du destin », dit Héraclite (fragment 137). Le destin, c’est précisément ce qui relève des différentes formes de refoulements de la jouissance. Se réconcilier avec la jouissance originelle à partir de nos jouissances sexuelles, c’est savoir transmuter son destin. C’est quand on croit qu’il n’y a plus rien, plus rien, aucune solution, que la jouissance est transformatrice et performatrice.

Ainsi tout ce qui est dangereux (comme la jouissance qui détruit ce dont elle jouit, exemple manger) se transforme en or et en argent, en gain, profit et avantage.

Table de division du concept de rien

Selon Kant et auquelLacan reproche de ne pas avoir suffisamment exploité les possibilités de ce rien diviseur, c’est-à-dire « déboisant pour mieux voir » (« Critique de la Raison pure p. 317, édition Galimard »).

1) Concept vide sans objet (noumène). Le rien permet de voir les noumènes.

  • Objet vide d’un concept (l’ombre. Le privatif). Le rien permet de voir le négatif.

  • Intuition vide sans objet (le temps). Le rien fait accéder au temps comme à la jouissance.

4)  Objet vide sans concept (le contradictoire). Le rien  fait accéder au langage inconscient.

MARGA ROSAL

Suite à notre texte sur le rien en tant que « trou qui précède ses bords », la célèbre peintre Marga ROSAL nous fait l’honneur d’une illustration de cet article par un dessin dont le titre, artistiquement novateur, est « Le trou (de la femme) précède les bites ». Ce qui donne à penser que la libération de la femme est moins due aux avancées sociales qu’au plein épanouissement de sa jouissance sexuelle.

Texte écrit par M. Guy MASSAT

Illustration de Marga ROSAL


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