Cercle Psychanalytique de Paris

HISTOIRES DU ZEN (suite)

7) Commentaires sur « Les entretiens de Lin tsi » par Guy Massat

Première partie « Prédications »

Qu’est-ce que le « Khât » ?

Si vous ne savez pas ce que signifie Bouddha, vous aurez bien du mal à comprendre ce que signifie « khât » dont Lin tsi était, dit-on, l’inventeur » (Demiéville « Les Entretiens de L’in tsi », p.26). On vous dira que le khat désigne l’absurde et vous serez abusé comme lorsqu’on vous dit que zazen est une pratique qui vous mènera progressivement à l’éveil.

Bouddha termedu sanskrit « buddha » « éveillé », participe passé passif de la racine verbale « budh », « s’éveiller ». S’éveiller vient de « veille » dont l’étymologie est la racine indo-européenne « weg » qui signifie « vigueur » ( Picoche, dictionnaire étymologique ) c’est-à-dire sève, énergie sexuelle, libido. C’est, en effet, la vigueur sexuelle qui est à la base de toutes les autres formes de vigueur quelles qu’elles soient. Le sens du mot bouddha est donc fondamentalement « bander ». C’est pourquoi Bouddha sourit toujours et qu’on le désigne par d’autres qualificatifs comme « Bienheureux », « Celui qui a vaincu », « Ainsi-Venu », Thatagata, « celui qui pratique l’ainséité de l’orgasme.

« Khât », nous dit Demiéville, est une « éructation », autrement dit, et plus précisément, une éjaculation, un orgasme. Ce qui nous permet de comprendre les passages célèbres des « Entretiens de Lin tsi » comme celui-ci : « Un moine demanda : quelle était la grande affaire du bouddhisme ? (C’est-à-dire en clair « pourquoi bande-t-on ? ». Le maître fit « khât », autrement dit « pour l’orgasme ! ». Tout le reste n’est que du blabla ou, plus obscènement, selon l’expression même de Lin tsi : « Je ne sais quel bâtonnet à se sécher le bran ». (C’est qu’à cette époque, on n’utilisait pas de papier, mais des morceaux de bois pour s’essuyer les fesses après la défécation. Le Bouddha lui-même est parfois défini comme « un bâton à se sécher le bran » (« Les Entretiens », p.33). La bandaison (bouddhiste) ne concerne évidemment pas que les hommes. Le clitoris des femmes (15 cm, mais en interne, se gonfle sous l’effet de la libido de la même manière qu’un pénis et n’a pour but que l’orgasme ( le « khât »). Mais à la différence du pénis, le clitoris est un organe polyorgasmique. Son « khât » est donc foncièrement supérieur à celui de l’homme. C’est un orgasme qui n’a pas besoin de s’inverser « en colère » c’est-à-dire en gifles ou en coup de bâton (orgasme désignant à la fois l’excès de colère et le paroxysme du plaisir sexuel.  Tout le premier chapitre des « Entretiens de Lin tsi » ne relate que des situations où Lin tsi utilise le « khât », comme prédication de toutes les prédications ou sens véritable de la vie.

Deuxième partie : « Instructions collectives »

Les « Instructions collectives » s’adressent à l’assemblée des moines par opposition à la troisième partie qui traite des « consultations d’analyses individuelles ».

Les quatre « instructions collectives » ou ce qu’on appelle aussi « les quatre alternatives de Lin tsi » font référence au tétralemme ( de tetra quatre ) de Nagarjuna (celui qui enseigne la doctrine du vide ) : 1) être 2) ne pas être 3) ni être ni non être 4) à la fois être et n’être pas.

Ce point de vue est particulièrement intéressant si on met ce tétralemme en parallèle avec les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse et ses quatre béatitudes : L’inconscient, la répétition, le transfert, la pulsion (Lacan séminaire 11 ).

10 « Lors d’une consultation du soir, le maître donna l’instruction collective suivante » (p.49).

Première alternative : Parfois supprimer l’homme sans supprimer l’objet.

(De quel objet s’agit-il ? Chez Lin tsi nous sommes bien sûr dans le système inconscient ( illustré par le nœud Borroméen de Lacan qu’on trouve dans les temples shinto et zen ). L’objet est « l’ob-jet », le jaillissement ob , devant, c’est-à-dire « l’objet petit a, la plus-value et le plus de jouir. Donc suppression de toute forme de sujet symbolique ou inconscient, il ne reste que l’objet dans la pulsion,  du plus de jouir, l’objet de  la jouissance. On est là dans la béatitude du plus de jouir de l’inconscient.

Deuxième alternative : Parfois supprimer l’objet sans supprimer l’homme. L’homme, c’est le sujet qui parle, (soit sujet de l’inconscient (« l’homme vrai sans situation », soit le sujet du conscient (symbolique). Mais dans les deux cas l’homme est dans la béatitude de la parole.

Troisième alternative : Parfois supprimer à la fois l’homme et l’objet. Là nous sommes dans la béatitude parfaite de l’inconscient. C’est la forme la plus haute de l’absorption.

Quatrième alternative : Ne supprimer ni l’homme ni l’objet. Car ils sont essentiellement vides. D’où le discours du vide : « Le vide est les formes et les formes sont le vide. Ni le vide, ni les formes ne peuvent être séparés, ni les formes, être autres que le vide. Ainsi, toute chose est le vide » (Prajanaparmita). Ce qui est la vision suprême du Zen, sa manière de voir ou selon l’expression de Lin tsi « L’œil de la vrai loi ». La vue juste pour reprendre l’expression du canon bouddhiste. § 11 « Apprentis, vous vous empressez de courir après tout ce qui vous est extérieur, vous laissant détourner par les dix mille objets. Cette recherche vous fait courir de pensée en pensée. Apprentis, ne vous laisser abuser par personne. Cessez, et toute supériorité transcendante vous viendra d’elle-même sans qu’il y ait besoin de la chercher. Vous ne diffèrerez plus d’un Bouddha ».

Dans le zen, on ne cherche pas, on trouve. C’est pourquoi, « l’homme vrai, dit Lin tsi, est « l’homme sans affaires » (§11).

Désirer, c’est manquer de ce dont on a besoin, c’est ne pas avoir ce que l’on voudrait. C’est en quoi, le désir est souffrance et son extinction ( nirvana ) est jouissance. Exemple : j’ai soif, j’ai besoin d’un verre d’eau. Il n’y en a pas, je souffre. J’en trouve un. Je bois, mon désir et ma souffrance s’éteignent au profit d’une jouissance physique et vitale. Je désirerais savoir parler anglais pour comprendre les films auxquels je ne comprends rien. Ce qui me fait souffrir. J’apprends l’anglais, bientôt ma souffrance et mon désir s’éteignent, en faveur d’une jouissance intellectuelle. La jouissance est l’extinction du désir, lequel, comme définition du manque, est souffrance.

C’est dans les « Instructions collectives », que nous trouvons des passages incontournables et qu’on ne peut ignorer pour comprendre le zen. Notamment le § 20 b, (p. 117) :

Appel au meurtre :

  • 20b « Adeptes, voulez-vous voir les choses conformément à la loi du zen ? Gardez-vous seulement de vous laisser égarer par les gens. Tout ce que vous rencontrez au-dehors et au-dedans de vous-mêmes, tuez-le.

1)Tuez le Bouddha :

« Si vous rencontrez le Bouddha, tuez le Bouddha »

2)Tuez le patriarche :

« Si vous rencontrez un patriarche, tuez le patriarche ! »

3)Tuez l’Arhat (le Saint)

« Si vous rencontrez un Saint, tuez le Saint ! »

4)« Si vous rencontrez vos père et mère, tuez vos père et mère ! »

5)« Si vous rencontrez vos proches, tuez vos proches !

C’est le moyen de vous libérer et d’échapper à la souffrance et l’esclavage, par la jouissance et l’orgasme ».

« Tuez le Bouddha », sonne phonétiquement en français « Tu es le Bouddha ». Ce qui correspond parfaitement à l’enseignement de Lin tsi : « Vous voulez savoir qu’est-ce que le Bouddha ? Tout simplement les hommes qui sont là devant moi ! (p.55).

Dans « Le Pavillon d’or », le célèbre écrivain Yukio Mishima relate l’histoire d’un moine zen qui comprend à l’envers l’enseignement de Lin tsi et croit qu’il faut « tuer le Bouddha » dans la réalité. Il ignore le système inconscient figuré par le nœud Borroméen (« le triple monde » comme dit Lin tsi) qui est pourtant représenté dans des temples shinto et zen. Le moine de Mishima met stupidement le feu au pavillon d’or dans l’espoir de s’en libérer. Erreur stupide. C’est de la même manière que le grand sinologue Paul Demiéville, prend Lin tsi à la lettre lorsqu’il rejette le zazen. « La secte Lin tsi abhorre la « méditation assise » (p.94) Demiéville oublie que « tchan » est l’apocope de tchanna prononciation chinoise du pâli « djâna » qui signifie « absorption » et non pas contemplation, méditation comme le sanscrit « dhyâna ». Contempler, c’est penser, or le zen, c’est de pas penser (« wu nien »). Lin tsi ne tourne en dérision le zazen de ceux qui le prennent comme un moyen, un exercice, un acte qui conduirait progressivement à la bouddhéité, à la sagesse ou à quelque état spirituel de dépendance, selon Lin tsi. Le zazen est la posture même du Bouddha, c’est-à-dire de la jouissance immédiate, abrupte, directe, sans but, sans, appui, sans conditions, sans affaires, comme l’enseignent ainsi qu’on l’a vu, Bouddha, Bodhidharma, Houei neng et Lin tsi. Le zazen est la posture du « sans posture », qui délivre de toutes les autres postures ou impostures promettant des progrès spirituels et autres fantasmes d’accumulation de mérites. Tout le contraire de la posture bouddhique. Du « triple monde » ou le monde « des trois yeux », de Lin tsi, figuré par le nœud Borroméen, il n’y a, comme en psychanalyse, que le monde de l’inconscient (« le corps de jouissance » p.91) qui est recevable, les deux autres ne sont que des « des pieux à attacher les ânes » (p.63), des renards sauvages, des larves malignes » (p.66).

Le zazen dans cette perspective, c’est le Bouddha lui-même, la jouissance et l’orgasme assurés sans condition.

Dans le « Sutra de l’estrade », on trouve la fameuse répartie de Houei neng concernant ce qu’est le vrai zazen de Bouddha, Bodhidharma et Lin tsi.

  • « Moi, O Louan, dit un moine, je sais un procédé ( le zazen ) pour effacer intégralement toutes mes pensées, le monde extérieur ne vient plus exciter ni mon corps ni mon esprit. En moi, l’illumination mûrit chaque jour ».

« Ce n’est pas là le vrai zazen, répliqua le sixième patriarche. Moi, Houei neng, je ne connais nul procédé. Les pensées excitent toujours mon corps et mon esprit, mais comme je les sais totalement vides, imaginer faire mûrir l’illumination serait le comble de l’emprisonnement dans les fausses notions ». Faire zazen, c’est donc « être sans affaires », selon la formule de Lin tsi.

La troisième partiedes « Entretiens de Lin tsi » est consacré à des « joutes dialoguées » qui ne sont compréhensibles que si l’on comprend justement les chapitres précédents. On y trouve « les quatre khats » de Lin tsi qu’on peut mettre en parallèle avec « les quatre instructions collectives » (p.3). Rappelons, encore une fois que « Khats » désigne l’orgasme.

  • 61 « Le maître (Lin tsi) demanda à un moine : « comprends-tu cela ? » : Parfois le khât ( l’orgasme) est aussi sublime que le Sutra libérateur du Diamant coupeur. Parfois le khât est pareil au lion au poil d’or bondissant sur sa proie. Parfois le khât est une perche interminable remuant l’eau des profondeurs sans fond. Parfois le khât ne fait pas office de khât. Comment comprends-tu cela ? Le moine hésita. Le maître le battit (à coup de bâton). Dans le tchan de Lin tsi, on bât plus facilement que dans le tchan sôtô. On gifle, on tord le nez, on tire les cheveux, on se crache dessus… Rien de tel pour comprendre le performatif sans conditions de la jouissance et de l’orgasme ou véritable absorption (tchan).

De la quatrième et dernière partiedes « Entretiens de Lin tsi », « Faits et gestes », on retiendra le paragraphe § 87 (p.240) qui relate la mort et la succession de Lin tsi : « Lorsque le maître ( Lin tsi ) approcha de sa transformation de transfert (l’expression désigne la mort dans le Tchan), il se tint en zazen sur son safu et dit : Après mon extinction, il ne faudra pas laisser s’endormir mon « enseignement sur l’œil de la vraie loi ». Le moine San sheng s’écria : « comment oserions-nous laisser s’éteindre votre enseignement, révérend ? » Si plus tard les gens t’interrogent, que leur diras-tu ? demanda Lin tsi. San sheng fit « khat » ! Le maître conclut : « Qui l’eût cru que mon enseignement s’éteindrait avec cet âne aveugle ! » (La tradition du tchan comprend humiliation comme un éloge du maître sanctionnant en réalité San sheng comme son véritable successeur). Ce qu’ayant dit Lin tsi se redressa parfaitement droit et manifesta la quiétude ».

On raconte qu’au temple de la Prune Jaune, un monastère Soto, le maître disait : « Ce n’est pas parce que le zazen fait bander, qu’il ne faut pas se contrôler ». Un jour, un groupe de nonnes et de femmes laïques demanda s’il était possible, au moins juste pour une fois, de faire zazen avec les moines du temple, afin de voir comment ils articulaient le zazen, le kin in ( la marche tchan ) et la récitation du Sutra du cœur (le sutra du vide). Le maître accepta mais il prévient ainsi ses disciples : « Ce n’est pas parce que le zazen fait bander qu’il ne faut pas se contrôler. C’est pourquoi, lors de la visite des nonnes, vous mettrez tous sous votre kolomo ( kimono de moine ) et au-dessus de votre sexe un petit tambour. Si vous bandez trop votre verge frappera le tambour et vous serez repéré ». Tous se soumirent à cette exigence, y compris le maître lui-même. Dès que les nonnes s’installèrent dans le dojo, on ne tarda pas à entendre de ci de là des bangs, bangs, bangs. « Ce doit être leur cœur qui bat », se disaient les nonnes. Tandis que côté du maître, régnait un silence total qui faisait l’admiration de ses disciples. Mais quand les nonnes se retirèrent et qu’on rendit les tambours, on s’aperçut que celui du maître était complètement percé et remplis de sperme !

Dans la nuit qui suivit cet épisode le maître rêva que Lin tsi venait lui rendre visite et lui rappelait que : « Là où il y a la moindre intention de contrôle de quoi que ce soit, ce n’est jamais le vrai zazen de Bouddha !  Le vrai zazen du Bouddha, c’est la jouissance et l’orgasme ».

8) Le chat coupé en deux

Le tchan, c’est l’inconscient par rapport au corps et à l’esprit. C’est en quelque sorte un troisième cerveau, ou la quatrième dimension, totalement différent de celui que nous avons dans le crâne et de celui qui est dans notre ventre (les intestins contiennent autant de neurones que le premier, c’est, comme on l’appelle, notre deuxième cerveau).

La parole de l’inconscient est performative mais, à la différence de la parole ordinaire, de la parole sociale, elle est performative sans conditions. C’est la septième fonction du langage. Le performatif, c’est « dire c’est faire ». Par exemple quand le maire ou le prêtre annonce : « je vous déclare : « vous êtes unis par les liens du mariage ». Une fois dit, c’est fait. Mais faut-il que certaines conditions sociales soient remplies : il faut que les mariés soient libres et non pas déjà mariés, que le maire et le prêtre soient investis légitimement de leur fonction. Sinon la performativité ne serait pas recevable, comme lorsqu’il s’agit d’acteurs ou d’imposteurs.  Alors que dans la dimension de l’inconscient, la performativité, « dire c’est faire », dire c’est être » est absolument sans conditions. Tel est le pouvoir de la parole du langage inconscient. L’histoire classique du chat coupé en deux de Nan chuan en est la démonstration : « A l’époque des Tang (l’une des plus brillantes dynasties de la Chine (du 5 au 10 ème siècle) vivait sur le mont Nan chuan, un fameux maître tchan du nom de Pu yan et qu’on surnomma, par admiration, Nan chuan du nom de la montagne tant son enseignement était extraordinaire. Un jour, alors que les moines travaillaient aux champs, un petit chat entra dans le temple silencieux et désert. Quand, à leur retour, les moines le trouvèrent, ils furent enchantés mais il y eut aussitôt une dispute entre les moines du bâtiment Est et ceux du bâtiment Ouest. Chacun estimant que le petit chat devait habiter chez eux. Le maître Nan chuan attrapa le chat et, lui appliquant sa faucille sur le cou, s’écria : « Dites-moi ce qu’est le tchan, sinon je coupe ce chat en deux ». Personne ne sut dire un mot et Nan chuan coupa le chat en deux en lançant une partie du chat chez les moines du bâtiment de l’Est et l’autre du bâtiment de l’Ouest. Dans la soirée, arriva Cho shu, qui était en voyage. C’était le premier disciple de Nan chuan. Le maître lui raconta l’affaire du chat et lui demanda ce qu’il en pensait. Cho shu ne dit pas un mot, mais il retira ses sandales, les mit sur sa tête et fit le tour de la pièce. Ce qui voulait dire que les moines en restant muets sur la question « qu’est-ce que le zen » avaient confessé involontairement qu’ils ne savaient penser qu’avec leur esprit et non pas avec la performativité de l’inconscient. « Ah, si tu avais été là, s’écria Nan chuan, le chat serait encore vivant ! ». En effet, il suffisait de dire, en vertu de la performativité de l’inconscient, n’importe quoi, du genre, « le tchan est un caillou qui brille dans la rivière ». « Le tchan est une théière chaude. « Le tchan est une ceinture d’or ». Etc…Le mime de Cho shu était une excellente manière d’exprimer la performativité de l’inconscient.


Voir aussi

  • KOAN

    Un koan du zen rapporte qu’une vache tenta de s’échapper de son étable en sautant par une lucarne. La tête […]


Commentaires

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*