Cercle Psychanalytique de Paris

Art contemporain taoïste

Galerie Iconoclastes, 20 rue Danielle Casanova, 75002 Paris

Yoo Juhee (ça se prononce « j’ouïe ou jouis », comme on voudra, en français) est une artiste très connue du mouvement d’art contemporain « le Monochrome Coréen ». Après des études brillantes à l’université de Yeugnam, elle expose dans le monde entier, notamment à New-York, en Russie et au Japon. Aujourd’hui, avec cette exposition à la Galerie Iconoclastes à Paris, Yoo Juhee semble avoir atteint ce que le fameux maître taoïste Lie tseu (2 ème s, ap. JC) désigne par « le vrai passage au vide parfait ». C’est que le vide dans la pensée taoïste n’a pas le sens négatif que lui inflige depuis toujours l’ontologie de la pensée occidentale (bien que la pensée moderne et la physique quantique, en ce siècle, l’obligent à changer d’opinion). Le vide, ici, pour cette pensée qui vient du fond des âges et que retrouvent, sous un autre statut, la « matière noire » des astrophysiciens et nos révolutions technologiques, est ce qui produirait toutes choses. La jouissance du vide précède la jouissance du corps et celle de l’esprit, elle les articule.

Du point de vue esthétique, cela donne une peinture qu’on doit aborder comme  étant celle du Réel, ou du vide, par opposition aux réalités ordinaires des apparences. Il s’agit là de la même expérience émotionnelle que celle du « Carré Noir » de Malevitch (Moscou 1915) ou des monochromes « Klein Blue » d’Yves Klein qui réalisa à Paris la première, fameuse et scandaleuse « exposition du vide » (1958). Sauf qu’ici, carrés noirs et monochromes ne peuvent pas être réduits au néant, même aussi satisfaisant qu’on le puisse concevoir. Car Yoo Juhee s’appuie sur une tradition plus que bimillénaire le Tao te King. « Trace of meditation ». Le premier poème de cet immense ouvrage de la littérature mondiale affirme que l’origine des choses « est l’obscur », et que « cet obscur, plus obscur que tout obscur, est la porte de tous les prodiges », ou encore, poème 35 : « La grande image est sans image ». Et c’est bien là ce qui qualifie les peintures de Yoo Juhee, « Image sans image » et « porte de tous les prodiges » : Le vide comme jouissance, richesse et abondance. C’est qu’en effet ces œuvres engendrent des effets psychosomatiques de calme, et de sérénité créatrice que savent exploiter en particulier les architectes d’intérieur d’aujourd’hui. Ici, la nature, c’est le vide qui devient les formes par bifurcation, nouages, tissage, combinaison subtiles, voire invisibles du tétralemme originel « Terre, Eau, Air et Feu »  (carré, rond, croissant et triangle), dont s’orne toujours, mais sous la forme de quatre trigrammes autour du Tai Ji  (l’emblème des transmutations) le drapeau coréen. Yoo Juhee réalise par son art une extraordinaire et subtile rencontre entre le plus lointain passé, le présent et l’avenir toujours renouvelés. L’espace y devient le temps, les formes le vide et le vide la couleur.

Guy Massat, Psychanalyste

Paris juin 2016


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