Le transfert inconscient, un passage…
Je vais vous parler de ce qui est au cœur de la pratique psychanalytique, de son nouage, de ses dessous, de ce qui est indicible, invisible à l’ œil nu et pourtant nous l’éprouvons tous au quotidien sans le savoir : je vais vous parler du« transfert ». Le transfert ce n’est pas simplement transférer, projeter quelque chose du dedans vers le dehors et vis versa. Ça, nous savons que cela se passe tous les jours entre humains à notre insu ou pas : je me comporte avec mon patron comme avec une personne de ma famille, mon père, ma sœur…, avec mon compagnon comme avec ma mère, mon grand-père… Je transfère mes connaissances à mes étudiants, je transfère à mes enfants ma culture, ma langue, ma névrose… je peux même transférer de l’argent, mais aussi l’amour et son corollaire the maestro le Désir.
Le transfert est l’outil par excellence du psychanalyste _et je dirais, pas seulement, il est aussi l’outil du questionnant car non seulement ceux-ci s’enrichissent séance après séance de ce dire, de ce qui s’y passe, passe ou ne passe pas… de ce qui se joue et ils en jouent : la séduction, l’amour, la résistance… et pour l’analyste le maniement du transfert… et dans le meilleur des cas ils en « jouissent » dans le sens de jouir du sens, « Joui-sens » car le transfert est ce qui s’inter-prête…
Le transfert inconscient « entre » le psychanalysant et le psychanalyste concerne les deux protagonistes engagées à huis clos dans le processus de la cure psychanalytique. Pour le psychanalysant, il s’agit d’une mise en scène en trois actes : le moment de voir, de comprendre et de conclure. Je dis bien « entre », car il ne s’agit pas d’une « relation » bonne ou mauvaise, positive ou négative, mais d’un passage, un passage à l’acte « C’est un agir au lieu d’un souvenir » martèle Freud, un passage en 3 D dirait Lacan : Réel, Symbolique, Imaginaire, d’un Réel qui ne cesse pas de ne pas se dire…
Le transfert inconscient est vraiment un effet de l’inconscient, une « œuvre » en perpétuelle construction et pour rendre hommage à Jean Oury, je dirai que cette « œuvre » n’est jamais terminée, c’est de l’ « ouvert ». Le psychanalyste est donc tout autant engagé, par delà lui-même, dans le processus de l’analyse car tout psychanalyste qu’il soit, il vit comme le commun des mortels avec son inconscient et ce qui a été ou est déterminant dans sa structure. D’autant que cet écoutant est « pris à partie » dans l’histoire d’un autre et mis en position de témoin car il se peut même qu’il soit le premier témoin d’une histoire inédite, il est, de fait garant de la loi symbolique mais aussi de l’interdit de l’inceste… Et toute la difficulté réside là pour lui, c’est qu’il a à gérer le transfert de son analysant dans la bienveillance, c’est-à-dire de prendre soin à ne pas répéter ce qui s’est déjà jouer pour lui mais aussi d’analyser ce que ce dire a comme effet sur lui, l’analyste, voire même d’inconnu, pour cela il lui faut porter sa parole vers un autre…
Le psychanalyste n’est donc pas cette potiche figée dans son fauteuil, passif et muré dans son silence en attendant que l’autre ait déversé son sac et le tour est joué ! Car il s’agit d’un tour de passe passe par delà les étoiles, le fire-maman… Et je ne fais pas là un simple jeu de mots, à entendre l’équivoque : fire, en anglais, feu, le feu de maman, de l’Autre, avec un grand A, donc passer par delà les étoiles, par delà les objets du désir de l’Autre qu’est la Mère ou son représentant, le psychanalyste. C’est ainsi que l’analyste prendra toutes les postures que l’analysant lui prêtera dans le transfert jusqu’au Rien, c’est-à-dire jusqu’à l’état qui précède le langage. Le désir de l’homme est, si je puis dire,« par défaut » aliéné au désir d’un Autre qu’il prend pour sien. Ce sont ces objets du désir, les objets petit a : le sein, le regard, les fèces, la voix et le rien… qu’il s’agit de repérer et de dénouer dans ce qui se répète, fait symptôme pour se libérer de l’emprise de l’Autre. Le transfert n’est donc pas, contrairement à ce qui se dit et s’enseigne, unilatéral de l’analysant vers l’analyste et qu’il y aurait en retour un transfert de l’analyste vers son analysant que certains nomment le « contre-transfert ». C’est bien plus compliqué que cela parce qu’il s’agit de systèmes inconscients, donc du Réel, et que le Réel on ne peut y échapper, on ne peut le contrôler car il nous file entre les doigts tel un lapsus…
Extrait du livre « Comprendre la psychanalyse » de Am-Augustina Bourrelly-Debève – Editions Max Milo
Conférence du 30 octobre 2014 au Café du Musée
A.P.I. l’Effet Freudien « Le divan de la goutte d’or »
Am-Augustina Bourrelly-Debève
Psychanalyste