Il n’y a d’autre voie pour devenir psychanalyste que de faire une analyse. C’est, depuis Freud et Lacan, la façon la plus légitime, la plus sûre, la plus directe pour devenir — qui que vous soyez, quel que soit votre âge ou votre condition — psychanalyste, métier d’avenir, passionnant et lucratif, pour peu qu’on ne se trompe pas d’inconscient…
Quel est le savoir du psychanalyste ?
« Le Savoir du psychanalyste » Lacan l’explique dans un séminaire tenu à Sainte-Anne en même temps que le séminaire « …Ou Pire » (séminaire 19, 1971-1972) dans lequel il présenta pour la première fois le principe révolutionnaire du nœud Borroméen à partir de quoi la dialectique de l’inconscient devint en quelque sorte la « trialectique » pourrait-on dire du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. Nous en présentons un résumé :
« Savoir, c’est savoir qu’on sait » soutenait le philosophe Alain, faisant écho à l’ensemble les siècles de la philosophie. Ce que bien évidemment, depuis Freud, la psychanalyse a totalement démenti. Certains psychanalystes soutiennent encore cependant que l’inconscient existait avant que Freud ne le découvre « à la manière de l’électricité et de l’atome », précisent-ils. Cette comparaison est fausse, stupide et déloyale car si l’atome et l’électricité sont utilisables et disciplinables comme tout objet, l’inconscient, freudien et Lacanien à l’inverse ne l’est pas. Il est une dynamique obscure, continue et autonome, nous dit Freud. Cette comparaison stupide est la confession involontaire de ce que l’on confond étourdiment sur le sujet du conscient et le sujet de l’inconscient, pire, c’est prendre l’inconscient philosophique pour lequel l’inconscient est relatif à la conscience, (ce qui permet d’apprendre ce qu’on ne sait pas) et l’inconscient de Freud et Lacan, l’inconscient de la psychanalyse, qui est antérieur à toutes formes de conscience d’objet matériel ou abstrait. C’est lui, cet inconscient, qui les manipule et les utilise et à leur insu. L’inconscient précise Lacan dans « Les quatre concepts de la psychanalyse », appartient « à l’aire du non-né », il est « pré-ontologique », ce qui inaugure la véritable révolution psychanalytique (au sens étymologique du terme : retour au point de départ, autrement dit le zéro ou le sujet pré-ontologique). Le Tao, déjà 400 ans av. JC, soulignait déjà à sa manière cette différence capitale : « Qui se consacre aux études classiques ( l’inconscient philosophique ) où l’on apprend ce qu’on ignore) grandit chaque jour. Qui se consacre à la voix véritable ( l’inconscient psychanalytique ) diminue chaque… jour jusqu’à se confondre au vide parfait, à partir de quoi on distingue les deux) » (poème 48). Faute de quoi, on confond ces deux sujets et c’est qu’on appelle les névroses. « Oublie homme, oublie (le conscient) enchaine Nietzche, divin est l’art d’oublier, tes affaires (conscientes) jette les à la mer et toi aussi jette toi à la mer, car jouissif est l’art d’oublier ». Lacan assure depuis toujours que l’ignorance, le vide, le zéro, peut être considérée comme une passion, ce qu’enseigne parallèlement le Bouddhisme et le Taôisme, et comme dit Hegel « rien ne se fait sans une grande passion ». Cette passion pour l’ignorance ou le zéro n’est pour autant, ni une perte, ni une moins-value, ni un déficit, bien au contraire puisqu’il nous permet finalement de distinguer toutes choses. Pour comprendre le paradoxe de cet inconscient qui inverse la raison et la logique ordinaire, la meilleure expérience est celle du divan où l’on étudie les rêves, les lapsus, les actes manqués selon la méthode fondamentale de la psychanalyse, les associations libres. Car l’ignorance est liée au savoir jusqu’à en faire un savoir établi et même le savoir le plus élevé, « la docte ignorance » selon la formule de Nicolas de Cues, ou « le savoir de ne pas savoir ». C’est qu’avec cette autre logique qu’est l’inconscient, l’ignorance ou zéro n’est pas simplement un manque ou une perte de savoir mais une autre forme tout à fait singulière et supérieure de savoir. Cette curieuse corrélation de l’ignorance et du savoir est le point de départ de la psychanalyse qui désarçonne « le savoir ordinaire qui prétend savoir ce qu’il sait et ne pas savoir ce qu’il ne sait pas ». A la même époque Georges Bataille remportait beaucoup de succès avec son concept de non-savoir. Mais comme le soulignait Lacan ce non-savoir se fourvoyait dans la logique aristotélicienne : « tout ce qui n’est pas noir est non noir. Tout ce qui n’est pas savoir est non-savoir ». Principe de non-contradiction oblige. Et si la vérité n’est pas le savoir, elle est donc le non-savoir. Mais Lacan va forcer et pousser plus loin la logique de l’ignorance ou du zéro, jusqu’à une logique du feu qui brûle les contraires et les contradictoires qu’on appelle généralement « le principe de contradiction ». Cette logique aux allures sophistiques a le mérite, entre autres, de nous libérer du poids de nos symptômes. Ce que Lacan appelle la jouissance du Réel : « D’où vient le feu (héraclitéen) ? Le feu, c’est le Réel. Ça met le feu partout le Réel ( l’inconscient ). Mais c’est un feu froid. Le Réel est à chercher du côté du zéro absolu ». (Séminaire 23 , le Symptôme, p 123). Qu’il y a-t-il entre le savoir et la vérité ? Par quoi les distinguer ou les confondre ? Si ce n’est le zéro absolu qui les distingue, les articule et les transmute l’un en l’autre, ou permet au contraire leur addition ou plus précisément leur copulation, puis leur division et de leur multiplication. Le zéro est ainsi trialectique. Le rond du zéro, les mathématiques topologiques l’appellent « nœud trivial ». Trivial, non pas parce que le trou du zéro pourrait évoquer le trou créateur de la femme, mais trivial au sens latin de trivalis, trois voies, parce que le rond du zéro peut se plier en forme de nœud premier ou nœud de trèfle. Nœud de trèfle qui représente la combinaison du Réel, le zéro, du Symbolique, l’être, et de l’Imaginaire, le non-être, ou, le vide, zéro, et sa bifurcation yin et yang à laquelle se réfère Lacan dans plusieurs séminaires. Cette, trialectique du Réel, le zéro, du symbolique, l’être, et du non-être, l’Imaginaire, caractérise le discours inconscient. Ce faisant, dans la réalité ordinaire, (le semblant) zéro est une insulte : « Mon mari est un zéro en tout ». Zéro est dévalorisation totale : « J’ai eu zéro en math ». Zéro note la tragédie : « Tous mes comptes en banque sont à zéro ». Zéro est une maladie : « J’ai le moral à zéro. Le zéro est d’une manière générale, la nullité péjorative de toutes choses matérielles ou abstraites. Ainsi pour conclure dans la vie consciente avec zéro, on n’a rien, mais dans l’inconscient, c’est au contraire, la création, l’abondance et la richesse. C’est que la négativité du zéro n’est valable que pour l’Occident biblique et les monothéismes : « Dieu est un, il ne saurait être ni vide ni néant ni zéro ». En revanche, aux Indes, les Védas enseignent que cet « un » premier est le principe de l’avidité et de toutes les erreurs. C’est le trois, principe du mouvement, c’est-à-dire, le zéro créateur, qui est, selon eux, depuis le fond des âges, à l’origine de tout. Ce sont les Bouddhistes qui ont inventé le zéro, représenté par un cercle vide figurant pour eux le nirvana, c’est-à-dire l’extinction du désir qui n’est autre que la souffrance même puisqu’on ne désire par définition que ce qu’on n’a pas ou ce dont on manque. Mais qu’il y a-t-il entre les choses, sinon le zéro invisible, le vide, qui les distingue et les anime ? De même que pour tous les phénomènes. Qu’il y a-t-il entre les mots, entre les nombres, entre les pensées, entre les paroles, qu’est-ce qui les distingue et les combine sinon le zéro que Lacan nomme le Réel et qui est l’inconscient. L’inconscient c’est, en résumé, le vide, pourrait-on dire simplement, qui sépare nos pieds, et qui nous permet de marcher. C’est de quoi relève le savoir du psychanalyste, un savoir dynamique, autonome, insu à lui-même et qui fait danser notre corps et notre esprit. Comme le résumait Lacan : « Je ne pense pas avec ma tête, je pense avec mes pieds ». Dès que je veux saisir le temps, il m’échappe. Il a une seule nature et trois hypostases, le présent, le passé et l’avenir et Lacan enseigne que l’inconscient est justement « la pulsation temporelle ». De ses trois hypostases, celle qu’on peut préférer, que l’on doive préférer, est l’avenir car tout le monde l’ignore. C’est comme ça, l’avenir incarne pour ainsi dire la parfaite ignorance. En outre dans l’avenir on est sûr d’être complètement oublié et d’avoir tout oublié, de n’être rien d’autre qu’oubli soit un pur zéro, ce signe que les bouddhistes ont inventé et appelé le nirvana, le plein épanouissement de la jouissance. C’est ce qui nous attend tous, qu’on l’espère ou non. L’alphabet grec, principe de toutes écritures, finit par Omega, le grand O, grand comme le grand oubli final (le petit o, l’o micron, au milieu de l’alphabet, n’est utile que pour les comptables, ce n’est pas du tout l’Omega de la grande jouissance de l’oubli). Ce grand O de l’avenir nous donne à boire l’eau du Léthé, fleuve mythologique, fils de la discorde, qui apporte le bienheureux oubli final. Ce zéro nirvanique de l’avenir et si assurée que je peux même le considérer comme présent, la certitude du présent le permet, et dans le même mouvement, je vois le passé le plus passé du passé comme un zéro semblable aux deux autres. Donc, trois hypostases et une seule nature, le vide. Tel est le nœud Borroméen qui est fait de trois zéro noués ensemble de telle façon que si l’on en coupe un, les deux autres sont libres.
En conclusion, la première chose à retenir concernant « le savoir du psychanalyste », c’est de ne pas confondre l’inconscient philosophique avec l’inconscient psychanalytique, la seconde est que le non-être, le zéro parle, pense et agit mieux que la conscience de quelque chose et de la raison ordinaire, la troisième est qu’on ne devient psychanalyste qu’en faisant une analyse, ce qu’on pourrait appeler « la pratique du Tao ».
Guy MASSAT, PSYCHANALYSTE depuis 40 ans, superviseur, spécialiste en formation, vous invite à entreprendre une analyse. Il dirige « Le Cercle Psychanalytique de Paris Jacques Lacan »
Cabinet : 71, rue Saint-Honoré 75001 Paris Mail : [email protected] : 01 42 36 15 45 ou 06 66 92 2 7 89
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Voici les liens des vidéos Youtube des trois conférences faites par Guy Massat au CPP en 2015-2016 :