(La topologie des nœuds de l’inconscient révélée)
Première partie : les faux nœuds
Les nœuds dans la réalité, même les plus beaux et les plus compliqués comme les nœuds de marin, ne sont pas fermés sur eux-mêmes. Tandis que les nœuds dits topologiques ont leurs extrémités raboutées, leurs bouts fusionnent comme dans un rond où l’on ne peut distinguer, comme dirait Héraclite, ni le commencement ni la fin. Ils représentent, en quelque sorte l’infini : sans commencement ni fin. Le cercle n’est pas l’aplatissement de la sphère, comme le disent généralement les matérialistes. C’est le cercle qui tournant sur lui-même et de haut en bas, engendre la sphère. Un cercle tournant simplement sur lui-même, sans passer par son centre, engendre un « tore », c’est-à-dire un tube fermé sur son point de départ. L’inconscient psychanalytique pourrait être représenté par un tore c’est-à-dire un tube rabouté à lui-même et dont les vides se nourriraient de leurs bords. L’être humain, si on le résumait à sa bouche et son anus, pourrait être figuré par un tube et si on rapprochait la bouche et l’anus, ce serait un tore. Mais personne ne ressemble à un donut, ce beignet à deux trous : un trou central et un trou interne, ce qui en fait un tube fermé sur lui-même. Pour la topologie les objets ne se définissent que par leurs trous. Ainsi un donut et une tasse à thé sont en topologie des objets identiques puisqu’ils sont composés chacun de deux trous (le trou de la tasse et le trou de son anse). L’inconscient est « le trou originel qui précède ses bords ». Il est « antiphysique » c’est-à-dire avant le physique, avant l’être. Comme le résume Lacan « l’inconscient est pré-ontologique ». C’est l’inverse de la métaphysique qui est la science de l’être, c’est-à-dire de ce qui vient après (méta, après). Dès qu’on sectionne un tore, on obtient un tube dont la bouche serait l’inconscient (ce qu’il y a avant) et l’anus qui produit la matière (ce qui vient après), la sphère. Mais personne bien sûr ne se réduit à un tube. C’est bien plutôt à un tore à quoi l’humain ressemble, un tore qui se nouerait lui-même pour produire toutes sortes de nœuds heureux ou malheureux, douloureux ou extatiquement jouissifs.
La bande située entre les deux cercles du tore ressemblent à un ruban de Möbius mais il n’en n’est rien puisque les bords ne font qu’un seul tour et ne sont pas pliées :
L’avantage du rêve est qu’on y fait des choses qui seraient impossibles dans la réalité. C’est comme si nous avions des ailes ou que nous pouvions traverser les murs. Comme dit Lacan « Le rêve est la voie royale vers l’inconscient où tout est possible ». Par ailleurs rêver ou rêvasser, nous dit la science, est bon pour le cerveau. Selon diverses études neurologiques, rêver, et même rêvasser plus ou moins éveillé, développe la créativité, les capacités de mémorisation et toutes sortes de capacités cognitives. Or les nœuds topologiques, quel que soit la rigueur de leurs nouages, doivent être nécessairement « rêvassés ». C’est-à-dire qu’il est nécessaire pour en tirer profit de les imaginer en mouvement rêvé, ainsi le croisement qui est dessous passe en rêve par-dessus celui qui est dessus, ou inversement tel croisement qui est dessus passe par-dessous celui qui est dessous. Nul ne saurait se passer du sens. Le rêve n’est pas une absence de sens, c’est un changement de sens. C’est pourquoi les nœuds topologiques animés par le rêve engendrent chez « le rêveur » des capacités créatives productrices de toutes sortes de bienfaits physiques et intellectuels. Sans la perspective et les possibilités de la rêverie, impossible de comprendre vraiment la topologie des nœuds de Lacan, la topologie animée de l’inconscient. Pour illustrer l’importance de la rêverie en topologie, prenons d’abord comme exemple, la bande de Möbius, dont la formule fut établie par Listing et Möbius, ses créateurs (18ème s). Cette célèbre formule est la suivante :
S + F – A = Bande de Möbius :
C’est-à-dire : Surfaces plus Faces moins Arêtes = bande de Möbius.
Or dans la réalité, si je peux tordre une bande de papier pour en joindre les surfaces (recto + verso) et les faces (pile + face) pour constituer un cercle (ou nœud trivial), je ne peux pas dire, en toute rigueur, que j’ai fait une bande de Möbius car il me sera impossible de supprimer l’arête (« le moins A » de la formule). Car s’il y a concrètement une arête, il y a un recto et un verso, une face et un dos, donc il ne s’agit pas d’une véritable bande de Möbius. C’est un faux. La formule ne peut être valable qu’en « rêvant » qu’il n’y a pas d’arête. Nul ne peut supprimer l’arête temps, sinon en rêve.
Si je passe un doigt sur la bande de Möbius la torsion fait que je passe d’une face à l’autre sans lever le doigt. Mais c’est dans la rêverie où je supprime l’arête que je peux tirer vraiment profit de tout ce qu’apporte la bande de Möbius : Il n’y a plus d’opposition entre la face et le dos, ni entre le Bien et le Mal, l’être et le non-être, la vérité et l’erreur, le Beau et le Laid, le gain et la perte, le succès et l’échec, le haut et le bas, le loin et le près, l’intérieur et l’extérieur, le chaud et le froid. On est libéré des contraires qui se transmutent l’un en l’autre et s’absorbent dans une jouissance sublime ou une sorte de guerre orgasmique dont je peux tirer profit. C’est que l’absorption est jouissance puisqu’elle détruit ce dont elle jouit et ce qu’elle détruit, elle le transforme en plus de jouissance. Comme disait Houei neng, le plus grand maître zen de la Chine, pour décrire l’illumination : « Dans la réalité, il y a un Nord et un Sud, des lettrés et des illettrés, mais dans l’absorption du zen, il n’y a ni de Nord ni de Sud, ni de lettrés ni illettrés ». En outre, je peux mieux comprendre et mieux me servir de la psychanalyse dès que je considère que sur la bande de Möbius l’inconscient se confond avec le conscient. Puisque les névroses, les psychoses et les perversions, à des degrés divers, ne sont que des confusions de la réalité consciente avec l’inconscient. Tels sont les profits que nous pouvons titrer en rêvant de l’absence d’une arête sur une bande de Möbius. Ce qui favorise notre créativité, augmente notre mémoire et toutes sortes de capacité cognitives. Dans la réalité, en revanche, toute face a un dos et même plus grand la face plus grand le dos. Il y a effectivement le Bien et le Mal, le Vrai et l’Erreur, le Beau et le Laid, l’être et le non-être,le gain et la perte, le succès et l’échec, le haut et le bas, le loin et le près l’intérieur et l’extérieur, le chaud du froid. Bref, tous les contraires sont là qu’ils soient métaphysiques ou physiques et s’affirment tels quels pour nous bloquer dans nos créativités en nous condamnant sans appel à être bouffer par Chronos, l’arête du temps :
Dans ces bandes de Möbius, l’arête est toujours visible. Ce n’est qu’en rêve qu’on peut les imaginer sans arête et profiter des transmutations que cette absence créatrice peut engendrer.
Les nœuds topologiques évoquent l’infini. Comme disait Mersenne, le mathématicien de Descartes, « une ligne infinie à ses deux extrémités est un cercle ». Le rond simple est appelé « nœud trivial », trivial non pas dans le sens de « banal » mais dans son sens étymologique, le latin trivalis : « carrefour de trois voies ». Mais ce n’est qu’en rêve qu’on peut voir un simple cercle, ou nœud trivial, comme un carrefour de trois voies, ou de trois voix.
Noeud Trivial
Nœud Trivial en rêve
Rien n’est plus physiques que les mots c’est pourquoi prononcés dans l’inconscient (« osei do » en japonais ou kototama) ils peuvent traverser les murs des dessus-dessous de n’importe quel nœud. C’est le principe de la topologie rêve ailé qui permet à quiconque de changer son destin. Un cercle peut en se tordant former un huit ou toute autre figure complexe, figures 1, 2,3 :
1
2
3
Mais ces trois figures ne sont pas réellement nouées et se réduisent au nœud trivial (n° 1).
Ce n’est que par le langage inconscient, ou langage rêvé, le langage imaginaire et performatif sans conditions, notre « sous-marin magique » en quelque sorte qui permet de traverser la muraille des choses, qu’on peut faire des nœuds consistants avec des dessous qui tiennent, et qu’on peut défaire par le même langage performatif et renouer de la façon la plus favorable pour nous. C’est ainsi qu’on réduit tous nos complexes, nos résistances, nos blocages, pour arriver au plein épanouissement de la jouissance sexuelle. La topologie « rêve ailée », c’est la topologie de jouissance en acte. Elle propose une perspective mobile et plurielle qui refuse l’étroitesse d’un seul point de vue parce qu’il ne peut y avoir de point de vue de tous les points de vue possibles.
Dans la deuxième partie de cet article nous traiterons des prodiges du nœud Borroméen, et nous verrons comment l’utiliser dans la clinique analytique.
Article de M. Guy MASSAT
Deuxième partie : Les prodiges du nœud Borroméen.