(Méthode à la portée de n’importe qui)
(Sauf de moi, entravé par mes complexes et mon humanisme inconscient et bien d’autres imperfections dont je rapporte brièvement ici la pitoyable histoire)
Le Taoïsme, depuis le père Jésuite Matteo Ricci, qui réalisa au XVIème siècle le premier véritable pont culturel entre la Chine et l’Europe, est présenté comme la voie suprême de « l’immobilisme méditatif », « la souveraine vertu de l’inaction », en quelque sorte « l’éloge de la fatigue ». Lao tseu, l’auteur des 81 poèmes du Tao te King, est présenté par excellence, comme celui qui se moque de tout savoir, de toute civilisation et de tout progrès : « Arrête-toi d’accumuler ». « Sois désœuvré ». « Renonce à toute ambition ». Abstiens-toi de toute initiative ». Pratique-le « non-agir », le Wu Wei, « l’art de ne rien faire ». Tel serait la suprême sagesse du Tao.
Cette interprétation est outrageusement tronquée, amputée de ce qui l’anime depuis l’origine : « le Livre des Transmutations », le I King. Comme l’enseignait déjà Wang Bi, à l’époque des Trois Royaumes (3ème siècle) : « Le Tao te King n’est que le commentaire parfait du I King, le Livre des Transmutations ». (Wang Bi enseignait, conformément au Tao, quel sens véritable des mots n’est pas leur référent apparemment désigné). Ainsi, Tao qui est généralement traduit par « voie » signifie aussi « voix » et « mouvement », mouvement des transmutations, I King. « King » est traduit généralement par traité ou livre. Mais tout livre est d’abord une voix qui en détermine les signes. De sorte que King peut être traduit par « voix », « la voix des transmutations ». Ce qui est directement en correspondance avec le premier vers du Tao te King : « Tao, la voix véritable ( celle des transmutations ) est autre que les voix ordinaires (qui ne servent qu’à la communication ).
Qu’Est-ce que le concept de transmutation ? Que peut-on en attendre ? Les transmutations utilisent le vide sans lequel une chose ne pourrait se transmuter en une autre, une situation en son contraire. Ainsi, pour les esprits fatigués, le néant continuellement se transmute en être et l’être en néant sans qu’il y ait ni fin ni commencement. De sorte, qu’en profondeur, personne ne sait d’où il vient ni qui il est. Continuellement les contraires se changent l’un en l’autre : Alors, à quoi bon choisir ? Nous ne sommes que l’objet passif, le prisonnier éternel de transmutations continuelles et nous n’y pouvons rien. A cette triste morale léthargique s’oppose la conception positive des transmutations, son autre face : Dans cette perspective, le concept de transmutation veut dire qu’il appartient à quiconque de pouvoir transmuter son malheur en bonheur, sa maladie en santé, son abstinence en jouissance, sa pauvreté en richesse et le plomb en or. Ici, la transmutation est jouissance et non plus abstinence et résignation. La jouissance détruit ce dont elle jouit (exemple le fait de manger) et transmute ce qu’elle a détruit en plus de jouissance. Sinon le principe universel des transmutations ne présenterait pas plus d’intérêt que le nihilisme mou de n’importe quelle religion. Mais depuis le Père Matteo Ricci, c’est la première interprétation désabusée qui prévaut. De plus, elle est reprise et entretenue traditionnellement par les sinologues européens et tous ceux qui se complaisent dans le nihilisme. Ainsi ils traduisent Wu wei, le principe du Tao, par « non agir » alors qu’on peut le lire et l’utiliser par « l’agir du non », c’est-à-dire le pouvoir de la négation de la négation qui est l’efficience même du QI « énergie continue » qui serait, selon l’antique pensée chinoise, à l’origine de l’univers et qui relierait les êtres et les choses entre eux ». Le Qi serait un concept qui n’aurait aucun équivalent, répète-t-on à l’envie, dans la pensée occidentale. Mais on peut toutefois le mettre en parallèle avec la pulsion continue de l’inconscient (« Les Quatre concepts » P.150) qui anime, etentretient toutes les pulsions partielles. C’est le QI qui permet de réussir toutes choses possibles et impossibles. Tout le contraire donc de « L’idéal de ne rien faire » ou « l’éloge de la fatigue ». Pour comprendre l’équivoque de ces deux perspectives antagonistes, rappelons que la figure de style la plus utilisée dans la langue chinoise, est la paronomase, figure qui consiste à utiliser des mots et des noms qui ont une prononciation ou une graphie similaires mais dont le sens peut être totalement inversé. Ainsi, était-il naturel dans l’ancien chinois, du temps des taoïstes, d’utiliser ce qu’ils appelaient des « ponts phoniques » entre des termes totalement différents et de jouer, en utilisant l’un pour l’autre, sur leur ressemblance phonétique. A ces jeux d’homophonie, contrepèteries et calembours et autres holorimes, dignes de nos blagues Carambar, s’ajoutaient des mystifications graphiques. Par exemple, on pouvait utiliser une clé (le radical) à la place d’une autre qui lui ressemblait. Des pictogrammes différents étaient utilisés l’un pour l’autre en raison de leur ressemblance graphique. C’est pire que si l’on s’autorisait en français à écrire indifféremment cygne ou signe, ou tu es pour tuer ou la vérité même pour « la vérité m’aime ».
On faisait confiance à la perspicacité du lecteur pour choisir le sens adéquat. Ces quelques remarques, si essentielles cependant, sur la langue et l’écriture de Lao tseu permettent de comprendre qu’une très large possibilité d’interprétations, parfois totalement différentes, est possible. Tout dépend, en quelque sorte, de l’esprit et même de l’humeur du lecteur. Tout est une question de Qi. Le Qi a donné le wu xing, les cinq mouvements ou les cinq transmutations dont la plasticité est utilisée en médecine, en psychologie, en sexualité, en stratégie de toutes sortes. Généralement les cinq mouvements transmutatoires sont représentés par le Bois, le Feu, la Terre, le Métal, l’Eau. Mais ces symboles peuvent se transmuter en autres selon les circonstances ou ce dont on a besoin. Le mot Tao qui signifie voie ou voix désigne aussi l’art de mettre en contact le Yang sidéral et le Yin terrestre afin d’opérer toutes sortes de transmutations. Selon certaines légendes Lao tseu aurait vécu 200 ans et savait faire de l’or. Si la première hypothèse est biologiquement difficile à accepter, la seconde en revanche, pour peu qu’on sache se servir de cet outil cognitif qu’est le Wuxing, est une hypothèse tout à fait recevable. En effet, si l’on traduit le Wuxing dans la perspective des métaux, le Bois (rouge) correspond au cuivre (Cu 63), le Feu au fer (faire) (Fe 56), le cœur de la Terre est la cendre c’est-à-dire le potassium, (K 39), le cœur de l’eau est le sel soit le sodium (Na23), le cœur du Métal est l’oxygène soit (O16). Si l’on additionne les nombres atomiques de ces métaux nous obtenons 197, qui est le nombre atomique de l’or (Au 197) :
Cu 63+ Fe56 + k 39+ Na 23 + O 16 = Au 197
A partir de là, on peut imaginer comment Lao tseu faisait de l’or. Bien sûr ce n’est qu’une hypothèse donnant corps à une légende sans fondement historique, d’autant que Lao tseu, malgré ses « 200 ans d’âge », n’a pas cru bon d’en faire valoir et encore moins d’en transmettre la méthode. Il s’est contenté de nous présenter son Tao te King comme s’il contenait, pour qui saurait le lire, le procédé même de la fabrication de l’or par transmutation, à découvrir, selon l’éthique taoïste : « toi-même par toi-même pour toi-même ». (On remarquera que curieusement « toi », phonétiquement en français, sonne comme « toa », anagramme de « Tao », jeu phonique caractéristique de la langue chinoise). Ce n’est que soi-même pour soi-même et par soi-même qu’on atteint la perfection. Mais, pas de moi sans toi comme il n’y a pas de yin sans yang. Le pictogramme « or » se dit « xin » en chinois et écrit trois fois, il signifie « prospérité ». Il y a toujours des taoïstes qui écrivent sur une feuille ces trois pictogrammes, la brûle et en boivent les cendres dans du thé. C’est pour recouvrer la santé ou réussir en affaire ou les deux. Il parait que ça marche. En tout cas, on peut s’autoriser au mythe d’un Lao tseu mélangeant les métaux yin yang, le cuivre et le fer avec le cœur de la terre, le potassium, le cœur de la mer, le sodium, le cœur de l’air, l’oxygène, dans une jarre qu’il enterrerait et surmonterait d’une tige de métal pour attirer la foudre et transmuter ces éléments en or. Les anciens Chinois connaissaient déjà « le paratonnerre ». Preuve en est dans le I King où le principe de la foudre correspond à l’hexagramme 51, « L’éveilleur ». Cet hexagramme désigne « ce qui transmute toutes choses ». L’éveilleur est, dit le I King, le tonnerre et la foudre. Selon Richard Wilhelm, le célèbre sinologue, reconnu comme le meilleur traducteur du I King, cet hexagramme montre « l’ascension de l’électricité ». J’eus l’occasion de montrer ma formule taoïste à un physicien spécialiste de physique quantique. « C’est génial s’écria-t-il, il suffit de mettre au point l’arc électrique adéquat. Nous allons immédiatement pondre un brevet ». Je lui fis remarquer que si le citoyen d’un état quelconque, inventait le moyen de faire de l’or, en supposant que sa formule marche, l’état confisquerait immédiatement sa formule et se l’approprierait puis, par prudence, ferait disparaitre immédiatement son inventeur et son entourage. Honteux de sa naïveté, le savant fit quand même quelques tentatives de transmutations avec différents arcs électriques, mais cela n’aboutit à aucun résultat positif. Il eut fallu beaucoup plus de volts, mais cela dépassait nos possibilités techniques. On en resta là. Ce fut, en même temps, l’occasion de se demander à quelles conséquences assisterions-nous si, par hypothèse, n’importe qui pouvait faire de l’or à partir d’éléments aussi ordinaires que ceux de Lao tseu ? L’ordre économique mondial serait complètement bouleversé. Ce serait l’effondrement et la transvaluation de toutes les valeurs. Les riches ne pourraient plus s’enrichir en spéculant sur les marchandises de première nécessité puisque les pauvres pourraient y accéder sans problème. Le montant des prix perdrait tout intérêt. La médecine ferait des progrès fantastiques puisqu’elle pourrait se payer les appareils et les études scientifiques dont elle a besoin. Peut-être deviendrait-elle capable de prolonger la vie des humains jusqu’à 200 ans, comme ce que l’on raconte de Lao tseu. La spéculation sur l’art s’effondrerait en faveur de sa seule valeur esthétique originale. Ce serait la fin réelle du capitalisme, la fin de « la dictature de l’or » puisque tout un chacun pourrait en faire. Il faudrait réinventer une nouvelle organisation de l’ordre mondial.
L’or est le métal parfait, le jour où tout le monde ferait de l’or, le monde deviendrait-il parfait ? Rien n’est moins sûr. Inconsciemment nous savons plus ou moins tout ça, mais nous le refoulons, d’un refoulement tout à fait spécial qui est d’une nature différente des refoulements ordinaires parce qu’elle implique le destin de tout le genre humain. C’est comme si nous avions peur de revivre la stupide tragédie du roi Midas que nous rapporte la Mythologie : Midas avait recueilli Silène, le maître de la gaité, de la démesure et de l’ivresse et précepteur de Dionysos. Pour s’être si bien occupé de son précieux ami, Dionysos accorde au roi Midas de réaliser un vœu. Midas demande le pouvoir de changer en or tout ce qu’il touchera. Mais ce pouvoir fait qu’il ne peut plus toucher quelqu’un, ni manger et boire sans que cela se transmute en or. Midas est alors contraint pour ne pas mourir de faim et de soif de demander à Dionysos d’annuler son don. Dionysos lui conseille de se laver secrètement dans les eaux du fleuve Pactole . Midas, s’exécute et se débarrasse enfin de son extraordinaire et maudit pouvoir. Depuis ce jour, le fleuve Pactole charrie continuellement des paillettes d’or. Cette légende, d’une certaine manière, n’est pas sans faire écho à la mienne. Il existerait dans certaines circonstances, un refoulement collectif qui décuplerait notre refoulement individuel. Ce refoulement engendre, par retour du refoulé, des symptômes qui dirigent à notre insu nos plus stupides comportements comme l’illustrent les pitoyables mais véridiques expériences que je vais relater, succinctement, en me limitant à l’essentiel.
Ainsi, premier épisode, dans les années soixante-dix plusieurs études scientifiques faisaient état d’un phénomène étrange : « Les transmutations biologiques. « Il y avait celle du Pr Baranger de l’Ecole Polytechnique, « Les plantes opèrent-elles des transmutations ? » (Éd. Gatheron), puis celle du Pr Kervran « Les transmutations biologiques » (éd. Vrin). A la même époque paraissait une étude du Pr Prévot de l’Institut Pasteur concernant trois bactéries que l’on trouvait sur la plupart des mines d’or du monde. Elles auraient la propriété de rassembler les atomes d’or, expliquait-il. Il s’agissait de trois bactéries anaérobies : le clostridium limosum, le clostridium regulare et le clostridium irregulare. Toujours obsédé par le I King, « Le livre des transmutations », je me dis que ces bactéries ne devaient pas seulement rassembler les atomes d’or mais bien plutôt, puisque les bactéries se nourrissent de minéraux, les transmuter biologiquement et produire de l’Au dans la mesure où le terrain était adéquat. Quelques mois plus tard, je rencontrais le Pr Prévot à l’Institut Pasteur et lui exposais mon hypothèse. « Impossible, s’écria-t-il, je connais Baranger et kervran, leurs travaux sont sujet à caution, de même que ceux du japonais Husatoki Komaki, de l’Institut de microbiologie appliquée de Mukogawa au Japon, qui travaille sur de prétendues transmutations ! ». A la fin de l’entretien, le Pr Prévot m’offrit quand même les souches des trois fameuses bactéries en me disant, à mon grand étonnement : « essayez quand même et tenez-moi au courant, mais je suis sûr que ça ne marchera pas ». Comme quoi la curiosité des savants sera toujours sans limite. Certes, il avait raison mais pas comme il croyait. Comme il s’agissait de bactéries anaérobies, c’est-à-dire qui se développent uniquement en l’absence d’oxygène, j’avais besoin d’un chimiste pour réaliser mon expérience. A cette époque, je travaillais dans une grande firme d’agriculture biologique. Le mari de la secrétaire de direction du patron était le chimiste de l’entreprise. Je pus lui expliquer mon projet. « Dès que j’aurais un moment, dans trois ou quatre semaines, je m’en occupe, me promit-il, ce n’est rien pour moi ». Au bout de deux mois d’attente, il m’annonça qu’il avait pu développer les deux premières bactéries mais qu’il avait raté la troisième, le clostridium irregulare. Je dus me rendre à nouveau à l’Institut Pasteur où j’appris que malheureusement le Pr Prévot était mort et que sa collection prestigieuse de bactéries anaérobies avait été achetée par les Américains. Je dus contacter cette firme aux USA pour commander la bactérie en question. Je la reçus quelques semaines plus tard. Mais entre temps, j’avais eu une relation passionnelle avec la femme du chimiste qui était très jolie. Il l’apprit et notre projet de transmutation s’arrêta tout net. De plus, il avertit mon épouse qui demanda le divorce et, en outre, il réussit à me faire perdre mon emploi. Catastrophe totale. Je me sentais stupide et maudit. C’est avec ce naufrage sociétal que se finirent mes expériences de bactéries. Je fis pour me consoler une traduction du Tao te King qui fut publiée (éditions Anfortas). Mais elle ne convenait pas. J’en fis une autre que je publiais chez un autre éditeur (éditions L’Harmattan). Mais elle ne me satisfît pas davantage. Elles étaient trop en phase avec ma dépression et dans l’esprit du nihilisme habituel : « Les civilisations sont mortelles. Mieux vaut pratiquer « le Wu wei », le non agir, « l’à quoi bon ». Il me fallait concevoir une autre traduction où le Wu wei ne serait plus interprété comme « le non agir » et « l’art de ne rien faire ». Or, un jour, visitant le célèbre musée de la marine chinoise à Hong Kong, je tombais sur un étrange décret de l’empereur Quiang long (18 ème siècle) qui, curieusement interdisait « pour l’éternité » d’enseigner la langue chinoise aux étrangers. D’abord, comme pour n’importe qui, cela me sembla stupide, aussi stupide que « l’encyclopédie chinoise sur la classification des animaux » de Borges qui en dépit de son étrange incohérence, toute surréaliste, a pourtant inspiré un livre aussi important que « Les mots et les choses » de Michel Foucault. De quelle langue chinoise parlait donc Quiang long dans son étrange décret ? Sinon de la langue de Lao tseu si équivoque que tout terme peut désigner l’inverse de ce qu’il désigne. C’était ça le vrai chinois. C’est ainsi que je compris que dans le vrai chinois, Wuwei, le non agir, peut se lire légitimement par « l’agir du non », c’est-à-dire la négation de la négation qui permet tous les possibles et impossibles. Le concept des transmutations du I King se prêtait désormais à être lu autrement que par la transmutation continuelle des contraires et l’invitation à la résignation, mais bien plutôt comme le pouvoir de transmuter notre Mal en Bien, notre maladie en santé, notre abstinence en jouissance et des métaux ordinaires en or. Non plus métaphoriquement, mais bien concrètement. Faute de quoi le principe des transmutations ne serait qu’une vue de l’esprit pareille aux fantasmes de n’importe quelle religion. Reste que j’ignorais toujours comment soumettre les métaux du Wuxing à un équivalent de la foudre de Lao tseu.
Quand un jour je vis à la télévision le récit d’un fait divers étonnant : Un polytechnicien âgé de 35 ans qui péchait par un bel après-midi d’été dans la rivière Vallière du canton de Condamine près de Lons le Saunier voulut se déplacer sans plier sa canne à pêche faite de carbone et longue de sept mètres. La canne toucha malencontreusement une ligne à haute tension et le pêcheur fut immédiatement foudroyé par une décharge de 22000 volt. Certes 22000 Volt ce n’est pas la foudre céleste, me dis-je, mais c’est peut-être suffisant pour opérer une transmutation. Il faudrait essayer. Sans réfléchir davantage, je partis pour Lons le Saunier. J’achetais une canne à pêche en carbone de sept mètres et me rendis à Condamine sur la rivière Vallière. Je pus ajuster dans le manche de la canne à pêche qui était creux, du fer, du cuivre, du potassium, du sodium et de l’oxygène solide. Puis ayant repéré la ligne à haute tension, je fis tomber dessus ma canne à pêche. La décharge électrique fut terrible. La canne à pêche se brisa. Je faillis recevoir des morceaux qui me passèrent heureusement au-dessus de la tête. Mais le choc fut si impressionnant que je perdis connaissance. Je me réveillais quelques minutes plus tard. Ma stupide imprudence avait failli me couter la vie. Ce faisant je pus retrouver facilement le manche de ma canne à pêche. Mes éléments s’étaient transformés en un petit morceau de matière noire que je recueillis précieusement et repartis à Paris. Quand on voit la mort de si près automatiquement le monde nous parait autrement. Je coupais en deux mon morceau de matière noire pour les envoyer à deux laboratoires différents en leur demandant s’ils contenaient de l’or. Quelques semaines plus tard, je recevais les résultats. Les deux laboratoires disaient la même chose : Au ≥ 0, Au, plus grand que zéro, même si les traces étaient dites infinitésimales, ça avait marché. Il y avait des traces, infinitésimales certes, mais présentes. Il n’y avait plus qu’à augmenter les quantités pour avoir un résultat visible. Il faudrait réessayer avec 500 grammes de fer, 500 grammes de cuivre, autant de potassium, de sodium, et d’oxygène solide. Mais comment ? Il fallait trouver un moyen qui soit sans danger pour l’opérateur. Cela dépassait mes compétences.
Ce faisant j’avais une collègue dont le mari qui était ingénieur, s’était intéressé à mes traductions du Tao te King. Je pus le rencontrer et lui expliquer mon projet. Son nom avait les mêmes initiales que le mien. défiguréGM. Je lui confiais mes documents de laboratoires pour l’encourager et le convaincre. Il conçut une espèce de grue en bois et cordages de caoutchouc qui se manœuvrait à distance pour atteindre les plus hautes hauteurs (car plus le pilonne est élevé plus la tension est forte, à 90 mètres la tension est de 400 000 volt). Pour les produits, il avait inventé un ingénieux système de conteneurs dans lesquels on pouvait placer jusqu’à plusieurs kilos de nos métaux. Pendant qu’il travaillait à réaliser tout ça, son épouse hérita de son père, qui était boursier, d’une fortune très importante. Ma collègue progressivement changea de train de vie. Puis elle ne tarda pas à trouver un amant et divorça. L’ingénieur tomba dans une grave dépression qui le conduisit en psychiatrie. Il se rétablit mal et fit en sortant une tentative de suicide au gaz. Son appartement explosa mais par miracle ou grâce au diable, il en rescapa, blessé, brûlé, défiguré, mais vivant. Personne ne s’étonnera qu’il refuse résolument de donner suite à nos projets. GM ayant perdu sa femme qui était l’amour de sa vie, totalement déprimé, sombra dans la démesure et l’alcool comme un Silène non plus joyeux mais affreusement tragique. Le temps avait passé et j’avais dépassé les 80 printemps. Profondément ébranlé par tous ces événements, je ne me sentais plus la force de chercher quelqu’un pour reprendre mes expériences. Je lâchais tout. Il ne me restait plus, en s’en tenant à l’essentiel, qu’à relater mon arrogante et pitoyable histoire, pour servir d’introduction à une traduction, très différente de toutes celles qui l’ont précédées, des 81 poèmes du Tao te King parce que Tao, conformément au I King, est la voix certes, mais de quoi ?
La voix qui commande aux transmutations au lieu de les subir. Ce qui me vaudra très sûrement les critiques sémantiques et acerbes des sinologues nihilistes du monde entier. Je me console en pensant que peut-être quelque lecteur de cette histoire, qui serait sans complexe, « sans Dieu ni Maître » et désireux de changer son monde ou le monde, pour en finir avec la dictature capitalisme, reprendra ces expériences avec les bactéries ou les pilonnes à haute tension ou des techniques plus modernes. Mais, dès qu’il arrivera à un résultat satisfaisant qu’il sache qu’il lui faudra bien se cacher et raconter, comme moi, qu’il n’y est pas arrivé s’il veut vivre et finir ses jours en paix. C’est ainsi que le Tao ébranle le monde en marchant à pas de colombe.
1
La voix véritablement voix ( celle des transmutations )
Est autre que les voix ordinaires
Les noms véritablement noms
Sont intraduisibles.
Sans nom la voix véritable fait copuler
le Ciel et la Terre ainsi que toutes choses
Avec un nom elle devient une mère
Qui ordonne tout selon la Raison
Ce qui l’empêche de voir tout ce qui arrive
et les dix mille choses
Comme autant d’indicibles et merveilleux miracles
Ce faisant, Raison et Miracle ne diffèrent que de nom
Ils ont la même origine :
La transmutation de l’énergie obscure
Cette transmutation plus obscure que tout obscur
Est la porte de tous les prodiges.
2
Désignant le Beau comme Beau l’homme ordinaire
Fait naître le Laid
Désignant le Bien comme Bien il fait naître le Mal
Pour lui le « il y a » engendre le « il n’y a pas »
Le facile, le difficile, le court, le long, le bas, le haut,
la musique, le bruit l’avant l’après, la face le dos
Et inversement sans, qu’impuissant,
Il n’y comprenne jamais rien
L’homme vrai quant à lui
Transmute le Laid en Beau, le Mal en Bien
Et tous les contraires selon son désir
Connaissant les transmutations
Il n’éprouve ni angoisse ni vertige ni peur
3
Bien choisir délivre des soucis
Savoir permuter le néant en être ou l’être en néant
Libère de leur emprise
C’est ainsi que les transmutations
Se jouent des mots et de toutes situations
Les transmutations sont le vide qui soulage les ventres
Et les esprits
L’homme vrai
Sait inverser les significations
Et convertir les apparences
Il fait qu’aucun malheur ne se répète et n’impose sa loi
Car c’’est par les transmutations
Que s’épanouissent toutes les jouissances
4
La voix des transmutations est continue
Comme me pour le Qi sans rien ne la stoppe
Ceux qui savent s’en servir
Savent permuter les bases en sommets
et les sommets en bases
Nouer et dénouer les nœuds comme il leur convient
Aiguiser ou émousser tout tranchant
Transmuter les absences en présences
Et les présences en absences
Fille de personne
La voix des transmutations est antérieure à tous les dieux, quels qu’ils soient
5
Terre et Ciel jouissent l’un de l’autre
Mais ils sont inhumains
Ils jouissent des dix mille choses comme si c’était ces chiens de paille dont se sert dans les enterrements
De la même manière l’homme vrai est inhumain
Les mots et les noms, les choses et les êtres
Il s’en sert comme des « chiens de paille »
Leur jouissance est pareille aux transmutations
Plus elles détruisent plus elles grandissent
Tout ce qui est statique
Ne produit que misère et pauvreté
Mieux vaut se servir des transmutations
6
La transmutation est universelle
Elle ne cesse de produire
Elle est pareille à une vulve fantastique
Qui jouit en donnant naissance au Ciel et à la Terre
Et aux dix mille choses
Et plus elle jouit plus elle produit
7
Comme le Ciel et la Terre sont vastes et si anciens
Comment font-ils pour être si grands et si anciens
C’est parce qu’ils ne s’identifient jamais à eux-mêmes
Ils ne cessent de transmuter ce qu’ils sont
Voilà pourquoi ils durent toujours
C’est ainsi que l’homme vrai sait inverser
Le dessous en dessus l’arrière en avant
Et transmuter en concret ce qui est abstrait
Ou présent ce qui est absent
C’est ainsi qu’il réalise tout ce qu’il désire
8
La jouissance est comme l’eau
Indispensable aux transmutations de tout ce qui vit
Elle détruit ce dont elle jouit
Et transforme ce qu’elle dissout en plus de jouissance
Elle se complait dans des lieux de souillure
Que les hommes ordinaires prétendent détester
C’est en quoi elle est sans pareille
Pour chacun elle surgit comme d’un gouffre sans fond
Et se révèle exquise et profitable à tous
Généreuse elle n’oublie personne
Elle domine toute raison
Et Toujours opportune
Elle guérit toute souffrance
9
Rien ne peut retenir les transmutations
Rien ne peut les immobiliser
Aucun discours ne saurait les arrêter
Elles sont pareilles des chevaux sauvages
Que seul l’homme vrai peut dompter
Pour l’homme ordinaire tenter de les faire obéir
Serait s’attirer des malheurs
Leurs œuvres accomplies elles s’épanouissent
Dans la jouissance
10
Les transmutations se nourrissent d’elles-mêmes
Elles accroissent continuellement leur puissance
Et leur plasticité
Elles inversent les souffles secrets
Métamorphosent nos corps et nos esprits
Pour elles les portes du ciel
Qui s’ouvrent et se ferment
Ne présentent rien de négatif
Pas plus que les copulations de la Terre et du Ciel
Parce qu’elles les nourrissent de leurs jouissances
Agissent sur eux et les font croître
Depuis toujours on admire
Leurs sublimes efficiences
11
Transmuter c’est utiliser le vide
C’est ainsi par exemple » que
Les trente rayons d’une roue se rassemblent
Autour d’un vide central qui fait avancer le char
On façonne l’argile pour faire des vases
Mais c’est leur vide qui fait qu’on les utilise
Les maisons sont faites de mur mais c’est le vide qui les rend habitables
Les portes et les fenêtres ne sont que par leurs vides
Les transmutations des formes et du vide
Assurent l’utilité de toutes choses
12
Les cinq couleurs aveuglent les yeux
Des hommes ordinaires
Les cinq sons s’assourdissent les oreilles
Des hommes ordinaires
Les cinq saveurs gâtent le palais
Des hommes ordinaires
Les sports hystérisent l’esprit
Des hommes ordinaires
Ils sont victimes des contraires
Alors que l’homme vrai profite de toutes choses
Parce ce qu’il sait transmuter le négatif en positif
Il jouit de tous ses sens
Sans jamais en pâtir
13
La compassion est un sentiment catastrophique
Qui peut ronger et pourrir notre esprit et notre corps
Pourquoi la compassion est-elle catastrophique
Parce qu’elle rabaisse
Les faveurs impliquent la soumission
Si on pouvait comme l’homme vrai ne dépendre
Ni de notre corps ni de notre esprit
On ne souffrirait jamais
C’est que l’homme vrai sait transmuter
La faiblesse en force
Ainsi échappe-t-il aux catastrophes
De la compassion ordinaire
Il maîtrise les transmutations
Comme s’il les tenait
Dans les paumes de ses mains
14
En les regardant on ne les voit pas
On les dit les invisibles
Comme on ne les entend pas on les dit silencieuses
N’arrivant pas à les attraper on les dit insaisissables
Ces trois qualités se distinguent l’une de l’autre
Nouées ensemble elle forme un nœud consistant
Dont les croisements peuvent s’inverser
Transmuant le un en zéro ou inversement
Magnifiques elles ne sont pas lumineuses
Modestes elles ne sont pas obscures
En tant que zéro on ne peut les nommer
Elles sont le non-être ou l’aspect du sans-aspect
En leur faisant front on ne voit pas leur face
Et les suivant on ne voit pas leur dos
Telle est la nature des transmutations
15
Dans l’Antiquité les maîtres en transmutations
Etaient mystérieux merveilleux incompréhensibles
Pour les hommes ordinaires
Ce n’est pas pour autant
Qu’on ne saurait les décrire
Extérieurement ils paraissaient hésitants
Comme s’ils traversaient un fleuve gelé
Prudents comme s’ils redoutaient leurs voisins
Réservés tels des invités chez un hôte de marque
Modestes comme de la glace qui fond
Rustiques comme du bois brut
Mais infiniment riches et généreux
Comme des vallées fertiles
Ils pouvaient se montrer Yin et subitement
se transmuter en Yang et inversement
Ne connaissant que la jouissance
Ils différaient des hommes ordinaires
16
Vivant s’absorber dans le vide parfait
C’est atteindre la sérénité
Lorsque surgissent toutes ensemble les dix mille choses
Je contemple leur impermanence
Les phénomènes sont innombrables
Mais chacun d’eux
S’en retourne à son origine le vide parfait
Qu’on appelle sérénité
La jouissance de l’impermanence
C’est la sérénité
Le connaître est ce qu’on appelle la lucidité
C’est être réceptif
L’ignorer fait surgir le funeste
Etre réceptif c’est ressentir la puissance
De l’énergie obscure
Selon un antique adage
C’est éviter tous les périls
17
Le Haut et le Bas ne s’ignorent pas
Chacun valorise son rang en faisant l’éloge de l’autre
Mais dès que Haut et Bas se méprisent
La jouissance de l’échange disparait brusquement
Chacun en ne donnant plus de valeur qu’à ce qu’il est
Imagine fortifier sa position
Les cent familles de noms n’ont de confiance
Qu’en leur identité
Elles affirment avec arrogance
C’est par nous-mêmes et personne d’autre
Que nous sommes ce que nous sommes
18
Quand l’énergie obscure est refoulée
Surgissent l’Humanisme et la Morale
Ruse et T tromperie tissent alors
Les réseaux de la Grande Hypocrisie
On voit les six parentés se dissocier
L’amour et la piété filiale se désarticuler
En ces périodes de désordres
Triomphent toutes sortes de faux maîtres
Et soudainement
L’homme vrai
19
Rompez avec la sainteté abandonnez l’intelligence
Vous multiplierez vos profits au centuple
Rompez avec l’Humanisme et la Morale
Et vos sentiments connaîtront
L’amour et l’estime authentiques
Soyez sans but et vous cesserez d’avoir peur
Mais si ces trois conseils ne suffisent pas
Conformez-vous à ceci
Absorbe-toi abruptement dans l’énergie obscure
Sans manière tel du bois brut
Et ne cède jamais sur ton désir
20
Renoncer à savoir supprime les tracas
Mais de quoi s’agit-il
On dit non à quoi et oui à quoi
Entre Bien et Mal quelle est la différence
Ce que les hommes ordinaires craignent
C’est l’énergie obscure qui se moque de leurs opinions
Tandis que les foules en liesse font bonne chère et se passionnent pour les histoires du monde
L’homme vrai puissant et détaché
N’y voit qu’ennuis et platitudes
Tranquille et indifférent comme un nouveau-né
Qui n’a pas encore souri
Il observe et se moque de toutes les opinions
Les foules humaines ont plus qu’il ne leur en faut
Mais l’’homme vrai les trouve démunis car ils ignorent
Les inépuisables richesses de l’énergie obscure
21
Du silence l’énergie obscure produit la parole
Qui produit les choses
Sans la parole les choses ne seraient
Qu’indistinction et confusion
Il n’y aurait que des images imprécises et floues
Se prenant pour des êtres
Seule la parole qui produit leur authenticité
Depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours
La parole est la mère de toutes choses
Comment sais-je que la parole
est la mère de toutes choses
Mais grâce au silence de l’énergie obscure
22
Qui ploie se maintient raide
Qui se tord se maintient droit
Qui se creuse se maintient plein
Qui vieillit rajeunit
Qui monte descend
Et inversement
C’est en quoi l’homme vrai
Connaissant contradictoire
Triomphe de tout
Il ne s’affirme pas est c’est pourquoi il est célèbre
Il ne se vante pas c’est pourquoi il est apprécié
Il ne se glorifie pas c’est pourquoi il perdure
Il fait venir sans appeler et triomphe sans lutter
Comme disaient les anciens
L’énergie obscure ne vise pas et ne rate jamais la cible
23
Les paroles importantes sont brèves
Telle une bourrasque qui ne souffle pas toute la matinée
Ou une averse qui ne tombe pas sans interruption
C’est ce que font le Ciel et la Terre
Si le Ciel et la Terre ne les font pas durer les bourrasques et les averses
Que dire des paroles des hommes ordinaires
C’est pourquoi celui qui mène ses entreprises selon
L’énergie obscure s’assimile à sa pulsation
Tantôt l’effort tantôt la pause
Tantôt le recul tantôt l’avancée
Ce qui le fait réussir
Telle est la créativité de l’énergie obscure
24
Qui se hausse sur la pointe des pieds
Ne peut pas rester longtemps debout
Qui fait de trop grandes enjambées
Ne fait pas longue route
Qui parle trop ne s’affirme pas
Qui se vante n’est pas cru
Qui se flatte se déprécie
C’est ce que disent ceux qui suivent la raison
Qui comparent ces comportements à des excès de nourriture
Qui engendrent le dégoût
Mais l’énergie obscure nous libère de la raison
25
L’énergie obscure était avant le Ciel et la T erre
Silencieuse et informe
Elle circulait partout sans se mettre en péril
On peut voir en elle la mère des mondes
Moi j’en ignore le nom
Pour la désigner je l’appelle la voix
Forcé de préciser je dirais qu’elle est Grande
Lae grandeur veut dire qu’elle s’écoule
Cet écoulement veut dire qu’elle s’éloigne
Cet éloignement veut dire
Qu’elle fait retour sur elle-même
Ainsi l’énergie obscure est grande
Le Ciel est grand la Terre est grande
Il ya dans l’univers quatre grandeurs
L’’homme est l’une d’entre elles
L’homme prend modèle sur le Ciel, le Ciel prend
modèle sur l’énergie obscure qui elle est sans modèle
26
Lourd et léger ne se définissent que l’un par l’autre
Comme le calme et l’agitation
C’est pourquoi quels que soient ses déplacements
L’homme vrai n’oublie ni ceux-ci ni ceux-là
Même possédant de l’or et de luxueux palais, il reste Souverain et modeste
Comment cela est-il possible
C’est qu’en oubliant les contraires il oublierait
L’énergie obscure qui les engendre et les anime
Principe de toute réussite
27
Habile marcheuse elle se déplace sans laisser de trace
Habile oratrice elle s’exprime sans jamais se tromper
Habile calculatrice elle compte sans besoin de boulier
Habile portière elle ouvre et ferme les portes
Sans besoin de clés
Habille noueuse elle fait des nœuds sans corde ni lien
Sans que les individus ordinaires puissent les dénouer
C’est en quoi l’homme vrai excelle à secourir les humains ordinaires
Ne rejetant ni le Mal ni le Bien
L’inutile il le transforme en utile et le poison en remède
Les mortels ordinaires n’accèdent pas
A ces prodiges de l’énergie obscure
28
Qui sait être mâle protège en lui la femelle
Devenant ainsi l’énergie obscure du monde
L’efficience ne le quitte plus
Il a retrouvé l’origine
Qui connaît sa blancheur préserve sa noirceur
Utilisant le contradictoire l’homme vrai s
Sert d’exemple au monde
Et l’efficience ne le quitte plus
Il a trouvé le sans-limite
Qui expérimente les honneurs
Doit préserver les disgrâces
Pour fertiliser le monde sous le Ciel
Il a l’apparence d’un bois brut qui se transforme
En ce qu’il y a de plus précieux
29
Ceux qui ambitionnent la domination du monde
et n’agissent que pour cela tout en niant l’énergie obscure observons qu’ils n’y arrivent jamais
C’est que l’énergie obscure est le pouvoir suprême
Sur lequel la raison ne peut agir
Quand elle croit le manipuler elle le rate
Quand elle croit s’en saisir elle le perd
C’est pourquoi certains sont forts et d’autres faibles
Certains se redressent et d’autres s’effondrent
L’homme vrai se conformant à l’énergie obscure
Sait utiliser l’excessif l’abusif le grandiose sans se mettre en péril
30
Avec l’énergie obscure les souverains n’ont nul besoin des armes pour s’emparer du monde
Car aux armes répondent d’autres armes
Et où campent les armées
Ne poussent plus que des broussailles et des ronces
Là où se réunissent les armées
Surgissent des années de disette
A l’inverse l’énergie obscure
Réussit sans violence sans brutalité sans provocation
Cela semble impossible pour les hommes ordinaires
Qui ne connaissant que la violence
Meurent prématurément
C’est qu’on appelle ne rien entendre à l’énergie obscure
31
Comparée à l’énergie obscure les armes
Même les plus belles sont des objets funestes
En fait tout le monde les déteste
Alors que l’énergie obscure triomphe sans armes
L’homme vrai favorise ce qui est souple
l’homme ordinaire ce qui est dur
Les armes sont les instruments mortels des militaires
L’homme vrai ne les emploie
Que s’il ne peut faire autrement
En estimant exactement
Ce qu’elles permettent d’obtenir
Et sans se féliciter des victoires qu’elles remportent
Ce qui serait se réjouir du nombre des morts
Les généraux sont les représentants des rites funèbres
C’est qu’enfin de compte leurs seules victoires
Sont les places qu’ils occupent dans les enterrements
32
L’énergie obscure est sans nom
Aucun ne peut l’assujettir
Mais si les seigneurs et les rois s’y conforment
Les dix mille êtres les suivent harmonieusement
Le Ciel et la Terre s’unissent l’un à l’autre
Et font descendre sur toutes choses
Une jouissive bienfaisante rosée
Sans que rien ne lui été ordonné
Le peuple s’organise équitablement
Mais dès qu’on fait en sorte qu’il y ait des noms
Les choses nous limitent
et l’on croit erronément se protéger des périls
Ce faisant l’énergie obscure ne cesse de s’écouler
Semblable aux vallées fertiles, aux rivières, aux fleuves et aux mers
33
Connaître les autres c’est être intelligent
Connaître l’énergie obscure c’est être clairvoyant
Vaincre les autres c’est être fort
Etre sans ego est la puissance suprême
Jouir de toutes choses c’est être riche
Toujours gagner c’est suivre l’énergie obscure
Ne pas perdre sa place c’est perdurer
Mais savoir mourir sans disparaitre
C’est jouir à l’infini
34
Comme l’énergie obscure est immense
Elle se répand à droite comme à gauche
Les dix mille êtres dépendent d’elle pour exister
Elle n’en récuse aucun
Sa tâche accomplie elle n’en tire aucune gloire
Elle habille et nourrit les dix mille êtres
Sans se prendre pour leur souverain
Elle leur dit de ne jamais céder sur leur désir
Elle pourrait être appelée la plus inapparente des choses
Mais les dix mille êtres se tournent vers elle
Elle pourrait être nommée par ce qu’elle fait de grand
Mais elle ne se considère jamais comme grande
C’est même pour ça qu’elle accomplie
Les choses les plus prodigieuses
35
La grande image est sans image
S’en apercevoir c’est échapper à tout péril
Tandis que des nourritures trop riches
et des musiques assourdissantes
Absorbent les mortels ordinaires
Ce qui sort de l’énergie obscure
Leur semble fade et même dénué de toute saveur
Alors que c’est d’elle
Que proviennent toutes les jouissances
Mais il ne suffit pas d’avoir des yeux pour la voir
Ni des oreilles pour l’entendre
Ce faisant quiconque peut l’utiliser
Sans jamais l’épuiser
Pour réaliser ses plus prodigieuses jouissances
36
Dans l l’énergie obscure
Quand on désire contracter
Il faut résolument déployer
Quand on désire renforcer
Il faut résolument affaiblir
Quand on désire promouvoir
Il faut résolument rejeter
Quand on désire s’emparer
Il faut résolument lâcher
Cela s’appelle la subtile clairvoyance
Dans l’énergie obscure
En affaiblissant on renforce
C’est ainsi que dans les eaux les plus profondes
les tourbillons contraires
Font naitre les poissons
Et de prodigieuses jouissances
37
C’est de l’énergie obscure que naissent les désirs
Et leurs satisfactions
Ainsi les seigneurs et les rois la préservent
Les dix mille êtres se transforment d’eux-mêmes
Si une fois transformés ils ne réalisaient pasjouissance
L’énergie obscure y remédierait par d’autres transformations jusqu’à ce qu’ils y parviennent