Cercle Psychanalytique de Paris

(4) Les prodiges du nœud Borroméen.

Le nœud Borroméen représente le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire du système inconscient qui diffèrent en droit et en nature du système conscient qui est notre réalité ordinaire.  Dans le système conscient règne les lois du principe d’identité, du non-contradictoire et du tiers exclu (ces termes, en toute rigueur, sont d’ailleurs synonymes). On les résume en disant : « les choses sont ce qu’elles sont ». En outre, dans le système conscient ou plus précisément de « la conscience réfléchie », le Réel, c’est la matière, le physique, les corps. L’Imaginaire, c’est leur représentation en photo ou en peinture et le Symbolique est leurs définitions. Dans le système inconscient, tout est différent et comme inversé, le Réel, c’est le vide sans fond, le pré-ontologique, l’abîme, le Chaos, selon la Mythologie. On pourrait comparer cette notion du Réel à la matière noire de la physique quantique qui est une matière mais invisible et que nous ne connaissons que par ses effets. Comme l’explique Freud : « l’inconscient est une énergie obscure ». Ce qui fait écho à ce que dit Lao tseu qui dans son premier poème affirme « Cet obscur plus obscur que tout obscur est la porte de tous les prodiges ». Du coup, dans le système inconscient, l’Imaginaire, c’est la matière elle- même, l’être, les corps, le physique. Si dans la réalité, le Symbolique c’est la définition précise des choses, l’adéquation entre les choses et les mots, dans le système inconscient, le Symbolique est sous la dépendance continue du libre langage de l’inconscient qui a le pouvoir. Donner n’importe quel sens à n’importe quel mot et qui, et si on le refoule, cette décision fait retour sous formes de symptômes, et dans le moindre des cas, d’actes manqués, de lapsus, de bévues et autres torsions de langage.

On appelle ce nœud, Borroméen, parce qu’il fait référence aux trois comtes de Borromée (16 ème s.) qui possédaient trois îles sur le lac majeur en Italie. Ils avaient pris ce nœud comme blason de leurs armoiries. Ce faisant, ce nœud existait bien avant eux. On le trouve chez les Celtes, les Vikings, en Chine, au Japon, en Afrique et son origine comme sa signification se perd à travers l’épaisseur des âges.

Au début des années soixante-dix, Lacan, invité à faire des conférences aux USA, rencontre dans un restaurant new yorkais son ami Salvador Dali.  – « Que viens-tu faire à New York ? » lui demande Dali. – « Je viens apprendre le nœud Borroméen aux américains », répond Lacan. – « Le blason des comtes de Borromée enchaine Dali, moi, contrairement à toi, je suis allé le voir sur les trois îles du Lac Majeur et j’ai pu constater qu’il n’était pas toujours dessiné de la même façon. Normalement, il est ainsi : ». Et Dali dessine sur la nappe de la table le nœud Borroméen classique, (la définition de ce nouage très spécial est que si l’on coupe un quelconque des ronds, les deux autres sont libres). Dali dessine d’abord le Borroméen classique :

Puis, reprend Dali, immédiatement, dans certaines salles du palais des Borromée, le blason est dessiné ainsi, le croisement supérieur est inversé (ce qui détruit la définition du nouage Borroméen) :

Croisement du haut inversé par rapport au Borroméen classique. Dessin de Dali :

Ou encore poursuit-il, tout en dessinant sur la table, le croisement de gauche est inversé par rapport au classique :


Croisement de gauche inversé, dessin de Dali

Ou encore ainsi, ajoute-t-il enfin, le croisement de droite est inversé par rapport au Borroméen classique :


Croisement de droite inversé par rapport au classique.  Dessin de Dali.

Lacan, qui sait lire évidemment tous les nouages quels qu’ils soient, voit immédiatement ce que signifient ces variations de nouage Si l’on inverse le croisement du haut, le rond du bas, représentant le Réel ou l’inconscient, se dégage automatiquement des deux autres. C’est un peu difficile à voir si on n’est pas habitué. On comprendrait plus facilement si l’on opérait avec des ficelles. Mais pour Lacan les dessins ne présentaient aucune difficulté. Il voyait que le rond de l’inconscient était en quelque sorte refoulé, ce qui caractérise la névrose. Le névrosé refoule l’inconscient. Son imaginaire (I) se retrouve noué avec le Symbolique (S) pour refouler l’inconscient (R). Ce nouage illustre la topologie de la névrose. Même si c’est une erreur de la part des peintres de la maison des Borromées, c’est une erreur qui dit la vérité pour la nosologie de l’inconscient.

Si le croisement de gauche est inversé, le rond du Symbolique n’est plus noué aux autres, c’est la psychose. Dans la psychose, le moi est prisonnier de l’inconscient et séparé de la langue (S).

Si le croisement de droite est inversé, le rond de l’Imaginaire n’est plus noué, c’est la perversion. Dans la perversion, le symbolique de l’inconscient (R) refoule le moi (I) et le réduisent au rôle de fétiche.

Voilà qui éclaire fondamentalement les réflexions possibles sur les névroses, psychoses et perversions. Mais ce qui importe d’abord, c’est la mobilité des nouages. Dès que l’on conçoit la mobilité des nouages, les symptômes peuvent se transmuter en jouissance par la performativité du langage inconscient.

Signification des lettres dans le nœud Borroméen :

Le rond du Réel (l’inconscient, R) passe pardessus le rond du Symbolique (S) et le domine. Le langage inconscient (R) a le pouvoir de changer le sens de de n’importe quel mot du Symbolique. Ce pouvoir est marqué par la lettre ɸ, représentant le pouvoir phallique.

Le rond du Symbolique passe par-dessus le rond de l’Imaginaire et le domine. Il impose son sens (s) à chaque chose (I). Ce pouvoir est marqué par la lettre s désignant la signification.

Le rond de l’Imaginaire passe par-dessus le rond du Réel (R) et le domine. Il impose une autre jouissance. Ce pouvoir est marqué par les lettres J A désignant « une autre jouissance »

L’objet petit a (la plus-value, le plus de jouir)

L’objet petit a (la plus-value, le plus de jouir) peut appartenir au rond du Réel (le sexe), ou au rond du Symbolique (l’esprit) ou du rond de l’Imaginaire (le corps, le besoin). D’où le plus de jouir du sexe, qui est le plus de jouir originel, le plus de jouir du Symbolique (l’esprit) et le plus de jouir du corps (boire, manger, respirer, pisser et déféquer).

Comment dessiner le nœud borroméen en trois coups de crayons 00

Les ronds du borroméen ne doivent pas être géométriques, ils sont plastiques, il y en a toujours un plus grand que les deux autres. Soit on peut faire le symbolique plus grand que les deux autres, comme ci-dessous :

Soit on peut faire l’imaginaire plus grand que les deux autres

Enfin, on peut faire le réel plus grand que les deux autres

En conclusion, le nœud Borroméen ne doit pas être vu comme un fétiche statique mais continuellement en mouvement selon « la topologie rêve ailée », chaque rond étant perpétuellement mobile peut devenir, comme à l’envie, plus grand ou plus petit que les deux autres, les dessus-dessous doivent être imaginés comme s’inversant continuellement, selon le langage performatif de l’inconscient. Il importe de considérer que le nœud Borroméen est issu du nœud trivial (du latin trivalis, trois voies) :

le rond est un tore avec un trou central (le Symbolique et un trou interne le Réel, l’inconscient (dessin). Puis le Réel fait un trou dans la paroi du tore qui sépare le Symbolique du Réel, c’est le trou de l’Imaginaire. A partir de ces trois trous, en germe dans le nœud trivial, nous avons le nœud Borroméen et tous ses prodiges. Mais si vous êtes débutant en topologie, si cela vous semble trop étrange, vous pouvez utiliser le tetrapharmacon, « le quadruple remède » d’Epicure (4 ème s. av. JC) mais toutefois sous l’angle Borroméen (rappelons que « pharmacon » signifie à la fois poison et remède). Comme poison Epicure dit « ne jouit pas, soit sobre » comme remède il conseille de « jouir et de tout transgresser ». Ainsi son tetrapharmacon se résume ainsi :

1)  Les dieux ne sont pas à craindre (c’est-à-dire ne craint pas le Surmoi, le Symbolique, tu peux transgresser tous leurs ordres, S sur le Borroméen et jouer comme tu l’entends avec le sens des mots).

2)  Ne craint pas la mort. Cette crainte est imaginaire (I, sur le Borroméen : Quand on est vivant, la mort n’est pas là, quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes pas là).

3)   La douleur est facile à supprimer (à partir du discours inconscient qui transmute toutes choses (S2) en plus-value et plus de jouir ( objet petit a).

4)  Le bonheur est facile à atteindre (à partir du discours inconscient :

Ce qui est le but du discours analytique.

Fin de l’article sur « les prodiges du Borroméen ».

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