Cercle Psychanalytique de Paris

La topologie

En général pour aborder la topologie on évoque ses créateurs, les génies des mathématique tels Euler (l’énigme des sept ponts de Königsberg), Pointcaré (l’énigme des trois corps en mouvements), Cantor, listing, Moebius, Tait, Hawking (les trous noirs) Sossinsky , Grigori Perelman (qui a résolu l’énigme des trois corps de Pointcaré) et qui a refusé le Prix Nobel de mathématique. Mais il n’est pas nécessaire de connaître les mathématiques pour comprendre et utiliser cliniquement la topologie des nœuds lacanienne. Le plus simple c’est de commencer avec Freud. En relisant son schéma de l’appareil psychique, c’est-à-dire l’inconscient, qui va de l’extrémité perceptive à l’extrémité motrice qu’il présente dans l’interprétation des rêves (p.416) et que reprend Lacan dans son premier séminaire (p.89).

Il n’y a pas que Mme Roudinesco qui ait peur de la topologie de Lacan. Il y a ceux qui appellent ça « l’énigme testamentaire » de Lacan. Ces gens là ne poursuivent pas l’œuvre de Lacan, ils en sont les fossoyeurs, avec J.A. Miller lorsqu’il affirme se mettre au-dessus de Lacan en prônant l’idée éternelle, toute platonicienne, toute philosophique que « deux et deux font quatre ». Il fait comme s’il ne voyait pas que la formule dépend de la parole qui peut aussi bien dire que deux et deux font cent trente six. La parole est un manque qui précède la vérité de toute affirmation. La parole de l’inconscient précède toutes choses. Le trou de la mort est avant le nœud de la vie. C’est la parole qui fait le père. La parole a une fonction de nouage. Je voudrais vous montrer qu’il ne s’agit pas d’une énigme mais de la base même de l’enseignement de Lacan. Avec la topologie borroméenne Lacan crée une nouvelle façon de penser la clinique analytique pour résoudre les questions essentielles de la praxis analytique, comment comprendre la force originaire. C’est une critique de la conscience absolue chère aux religions et à la philosophie. La vie est du côté de l’inconscient. La mort du côté du conscient. La vie ne songe qu’à mourir. La mort de songe qu’à vivre, n’importe comment. Quand Ulysse se rend aux enfers où il rencontre Achille, le héros lui dit qu’il préfèrerait être l’esclave d’un paysan ignare plutôt que deséjourner parmi les morts.

Pour la vraie psychanalyse la parole de l’inconscient précède toutes choses. La parole est le vide infini et aléatoire qui produit des nœuds, au minimum un nœud premier, c’est-à-dire à trois croisements : « émetteur, message et récepteur ». Mais la parole peut former aussi un nombre indéfini de nœuds et de chaines (on appelle chaine quand il y a plusieurs ronds). Dès que l’on coupe ou que l’on défait un nœud un autre apparaît. Exemple des bras croisés tenant les bouts d’une ficelle et qui en se décroisant engendrent un nœud. Un nœud trivial n’a pas de croisements apparents. Mais si nous faisons apparaître un nœud premier en n’importe quel point du cercle qui est composés de points, c’est-à-dire de nœuds et que nous défassions ce nœud premier, par exemple ici (voir dessin). Les brins vont se rejoindre pour former un autre nœud, par exemple celui-ci à quatre croisements. La parole est non seulement avant toutes choses, mais pendant et après toutes choses. Du passé nous ne connaissons que des noms. Erostrate le savait et le prouve encore puisque nous prononçons son nom. Dans le système inconscient l’homme n’est rien d’autre qu’un mot. Dans le système conscient ce n’est pas le cas. On ne peut, concernant la vraie psychanalyse, refuser la topologie de Lacan puisqu’il s’agit de la topologie de l’inconscient. Chez Lacan « topologie » signifie logos, la parole, qui engendre des lieux, des lieux dits. L’inconscient parle et n’est fait que de paroles. Un lieu est un nœud qui cerne ce qu’il désigne, un nœud trivial précisément. La topologie des mathématiques est l’étude des lieux, mais des lieux comme objets, et de leurs déformations spatiales. Dans l’inconscient il n’y a pas d’objet mais seulement des paroles qui défont et refont des nœuds, des mots et des lettres. L’être n’est que lettres, pour le moins qu’une lettre. C’est en parlant, ou plus exactement en faisant parler les mots conventionnels, ou les mots les plus étranges, que nous resserrons des nœuds, comme le feraient les nœuds de capiton du matelassier, ou que nous défaisons des nœuds pour qu’ils s’en fassent d’autres plus satisfaisants pour nous et les autres. Comme disait Mallarmé « le but de l’univers ? Faire un beau livre ». Aujourd’hui la psychanalyse sans inconscient triomphe partout. Le mot psychanalyse n’est plus qu’une coquille vide. Le mot psychanalyse est célèbre, populaire, banquebel comme on dit, mais il ne désigne plus l’inconscient. En dépit de Freud on confond l’inconscient avec le préconscient, avec les anciennes définitions de l’inconscient, on en fait un pronom de l’esprit, une forme de pathologie, une hypothèse, alors qu’il est le réel du langage qui soutient toutes choses. C’est le conscient qui est une hypothèse. Sa fonction opérante devient de plus en plus relative. On peut lâcher le conscient. L’inconscient est l’infini pulsatile. C’est la puissance créatrice, aléatoire et inépuisable. Pour Lacan l’inconscient ne se réduit pas à l’inconscient pathologique que soigne la bonne conduite de la cure. L’inconscient est la plus profonde des dimensions du vécu, à savoir la parole. Ça a l’air un peu difficile mais nous ne sommes que des mots. De la parole du vide. Comme dit le Sivaïsme ancien, Nagarjuna, le Tchan, le Tchi, le Taoïsme, Héraclite « La parole dont je parle échappe à la saisie intelligible des hommes » (frag.1)

Comme le fait remarquer l’historienne de la psychanalyse, E. Roudinesco, dans son dernier livre, que je vous recommande, Lacan envers et contre tous : Les psychanalystes se transforment en psychothérapeutes organisés en une profession réglementée par l’Etat ». C’est que la psychanalyse demande à ce que l’on pense contre soi-même. A rebours, pour mettre en évidence les structures inconscientes et la nécessité du manque. Finalement c’est ce qu’il y a de plus dur, même si cela s’avère le plus efficace. Quand on a le manque on a le nécessaire, dans l’inconscient.

Pour sa première séance notre séminaire sur la vraie et la fausse psychanalyse n’a pas intéressé pas grand monde. Il devait y avoir une quinzaine de médecins qui avaient annoncé qu’ils viendraient et qui ont eut des empêchements au dernier moment… Il y a même un psychanalyste qui m’a dit, et je l’en remercie au passage, « la guéguerre entre psychanalystes, ça ne m’intéresse pas. moi c’est la vraie, toi c’est la fausse, et réciproquement, ça ne peut pas aller très loin…Le manichéisme, ça ne m’intéresse pas ». Vrai ? Je m’explique donc mal, très mal. Alors je réessaye. Je ne divise pas en deux mais en trois. Le réel commence avec trois. Un psychanalyste ne peut critiquer un autre psychanalyste. Chacun ayant son style propre et son savoir faire personnel. Il se tient nécessairement dans l’imaginaire, le symbolique ou le réel. Tout psychanalyste sait qu’il n’est pas ce qu’il est et qu’il ne s’autorise que de l’inconscient, le réel. De plus c’est l’analysant qui fait son analyse et comme il entend. Celui qui a mené son analyse jusqu’au bout devient capable de se reconstituer après chaque anéantissement ordinaire et extraordinaire. C’est pourquoi je cite souvent Gorgias : « Rien n’existe de tout ce qui est ». Dans son séminaire L’acte psychanalytique Lacan se sert du cadran de Pierce pour identifier le sujet de l’inconscient au « pas de trait ». Ceci n’empêche nullement, et conditionne même, qu’il puisse y avoir une vraie et une fausse psychanalyse. Car pour voir les contraires il faut nécessairement qu’il y ait une troisième voie. « L’inconscient c’est le réel » (RSI p. 153) « Le réel ne commence qu’au chiffre trois » (RSI p. 129). Ainsi quand je me moque de Jacques Alain Miller qui a été mis ko de façon ridicule, par Michel Onfray, et qui, de façon patente, ne peut rien dire sur l’inconscient à un philosopphe, ou d’Isabelle Roudinesco qui, est terrifiée par la topologie, ce n’est pas parce que je conteste leurs mérites, mérites incontournables dans la psychanalyse. Je ne me place pas sur le versant du système conscient, de l’histoire et de la littérature. De ce côté-là, c’est à eux, biens sûr, que nous devons presque tout ce que nous savons sur Lacan et nous leur en avons une reconnaissance infinie. Nous leur exprimons notre respect et notre admiration, ainsi qu’à nos pères et mères. Tout psychanalyste, pourrait-on dire, a pour père Miller et pour mère Roudinesco, même si ce père et cette mère, comme beaucoup d’autres dans la réalité, ne s’entendent pas et se font des procès incompréhensibles. Mais dès que nous nous plaçons ailleurs, sur la marge qui sépare la face du dos, le papa de la maman, c’est-à-dire du côté de l’Eveil, comme disent Bodhidharma et Houei neng, ou du côté du champ qui motive la pratique psychanalytique : l’inconscient, nous voyons que « la psychanalyse fausse peut s’écarter du champ qui motive son procédé », et, « elle ne sera pas fausse seulement de ce fait » (p.165), affirme Lacan. Elle se tord en surface de Moebius. La conscience n’est qu’une hypothèse. C’est l’inconscient qui soutient les choses. « L’inconscient c’est le réel » (RSI p. 153) (Le réel ne commence qu’au chiffre trois » (RSI p. 129). Toute famille devient les Atrides dès que le système inconscient est confondu avec le système conscient. C’est ce qu’enseignent Freud et Lacan. Si l’on juge l’un du point de vue de l’autre, le conscient du point de vue l’inconscient ou inversement, on se fourvoie, on se trompe, on n’y comprend rien. On erre dans le semblant. Ce n’est pas du tout la même logique. Chaque chose de étant finie, chaque chose a ses propres règles du jeu. On ne joue pas au foot avec les règles du rugby. Ça pourrait être drôle, mais ça serait surtout pitoyable. A

l’instant où tout nous lâche il convient de voir qu’à notre propre vie nous avons toujours été étrangers. Pourquoi Lacan, dès l’ouverture de son séminaire compare-t-il la psychanalyse au Zen ? Parce que le zen dit « Tuez le Bouddha, tuez vos parents et les autres ». Ce qui atteste, pour le moins, que le Zen ne confond pas le système conscient et le système inconscient. Après tout les chrétiens exposent partout un crucifié. Autre exemple, dans la mythologie indienne il y a Arjuna, le plus grand maître de guerre de tous les temps. Un mauvais jour, Arjuna est pris d’une crise de conscience et se persuade d’arrêter la guerre. La guerre c’est mal. Aussitôt apparaît en dansant le dieu Krishna, « l’instructeur universel » qui le gronde et lui dit : » non la guerre est ce qu’il y a de mieux ( dans l’inconscient). Si tu gagnes tu t’enrichis et si tu perds tu rejoins le paradis. Ne doute donc plus, et repars au combat ». Ce que fait Arjuna, et ce pour l’harmonie suprême : « l’harmonie invisible (inconsciente) est plus parfaite que l’harmonie apparente », disait Héraclite (frag.54). Ceux qui confondent le système conscient et le système inconscient, en conclut étourdiment que la Baghavadgita fait l’éloge de la guerre. Par exemple le philosophe Zizek, compare la Baghavadgita au nazisme. Rien que ça ! C’est cette confusion entre l’inconscient et l’inconscient qui produit, ce que Freud nomme « un certain malaise dans la culture ». En fin, dernier exemple, un exemple de Freud. Son ami Einstein voulait qu’il obtienne le Prix Nobel de la Paix et lui propose à cette fin d’écrire un texte sur la psychanalyse et la Paix. Freud lui répond en substance que le système inconscient est toujours en guerre, c’est son principe fondamental, le refoulement. « Il faut savoir que la guerre est universelle, la justice discorde et que tout arrive par discorde et nécessité » disait déjà Héraclite ( frag 8O). « La guerre est la mère de toutes choses, de toutes choses la reine, des uns elle fait des dieux, des autres des hommes, des uns elle ait des hommes libres des autres des esclaves » (frag. 53). C’est l’infini qui refoule le fini pour le faire réapparaître autrement. Et Freud avertit ses proches : « Je ne pense pas recevoir le prix Nobel de la Paix, avec cette explication » (Einstein, Freud Pourquoi la guerre ed. Rivage, p.10) Bref, distinguer le système conscient et le système inconscient n’est pas aussi facile que ça n’en à l’air. Un analysant est un guerrier, un tueur. Il pratique l’art de la guerre qui développe l’intelligence inconsciente. Mais, dans la dimension de l’inconscient évidemment, pas dans celle du corps ou de l’esprit. Lâchez le conscient et vous serez calme dans le tumulte. C’est la dynamique du mouvement aléatoire et sans fin et de l’évolution en tous sens. On peut encore évoquer le nageur de Tchouang tseu qui épouse les tourbillons les plus effrayants, qui suit les mouvements de l’eau et se confond à eux et qui ainsi nage à l’aise, là où même les poissons ne vont pas. C’est que dans la dimension de l’inconscient je ne suis pas celui je suis, « Je est un autre ». Je ne suis jamais seul. Mais je peux tout aussi bien ne pas être un autre et être moi. Je peux être « le mot a ». (C’est ce quoi on peut jouer en français). C’est du paradoxe.

C’est penser en zigzag, avec trois corps en mouvements. Qu’est-ce qu’un zigzag ? Un zigzag est une ligne brisée formant des angles alternativement saillants et rentrants. Les éclairs de Zeus sont en zigzag. Les ponts chinois sont en zigzag. Les cigares de Lacan sont en zigzag. L’inconscient est en zigzag. C’est en vain qu’on se risquerait à réduire un zigzag à une ligne droite. Il bifurque immédiatement. D’ailleurs en topologie une ligne droite est un rond ( Desargues, RSI p. 172).

Il y a plusieurs sortes d’infini. Mais L’infini de la psychanalyse est l’infini en tant que manque, manque éternel, manque absolu, manque « indestructible », comme dit Freud, manque incomblable, insaisissable. Rien ne peut terminer l’infini. Ce manque absolu produit continuellement des choses qui ne l’achèvent jamais. Ainsi l’inconscient est-il ce vide absolu produisant et absorbant tout ce qui ne fait qu’apparaître. Le désir comme manque infini, absolu et éternel fait que le désir ne sera jamais satisfait, qu’il est cause de toute souffrance dès qu’on le confond avec le besoin et la demande. Le besoin peut être satisfait, la demande aussi. Mais pas le désir. Il ne faut pas céder sur son désir, telle est l’éthique de la psychanalyse, ce qui veut dire qu’on doit le distinguer radicalement des besoins ou des demandes. On ne doit pas essayer de refouler l’infini par quelque mensonge, par quelque « nom du père ». Le désir est toujours désir de quelque chose qui n’existe pas. Faut pas céder là-dessus. La fonction de l’infini, du vide, du trou de l’inconscient est le refoulement. C’est en quoi la guerre, la haine sont au commencement. L’inconscient comme manque infini est le vide qui parle. Qu’est-ce que cette parole ?

La parole dont nous parlons en psychanalyse n’est pas la parole ordinaire, c’est celle de l’inconscient, celle du vide sans fond, du Chaos, celle de l’infini en tant que manque fondamental. Comme dit le Tao te king, « la parole véritable est autre qu’une parole constante ». C’est la parole qui est le vide lui-même, l’inconscient lui-même. Ce n’est pas la parole mécanique, criée, chantée ou articulée avec arrogance des 7000 langues du monde. Ce n’est pas la parole sensorielle qui nous plaît ou nous déplaît. Ce n’est pas la parole sentimentale qui nous console, nous flatte, ou nous vexe et veut nous démolir. Ce n’est pas la parole intellectuelle qui nous explique et nous fait comprendre. Ce n’est pas la parole sociale, conformiste, morale, civilisée. Ce n’est la parole d’aucune idéologie. Ce n’est pas la peau de la parole, mais sa moelle, la parole de l’inconscient. La parole de l’inconscient est déjà là. Elle aime à se cacher dans tous les autres niveaux de la parole, qu’ils soient superficiel, idéologique, social, intellectuel, sentimental, sensoriel ou mécanique. En triturant le mot parole on peut dire que la parole c’est le mouvement d’une roue. Pas, signifie mouvement, comme le pas de la marche et rôle, signifie roue, c’est sa racine, un rond. Une roue qui avance ne s’appuie jamais que sur un point qui n’est jamais le même. Dans le tombeau de Houei neng on trouva qu’une seule sandale « Chose commune que commencement et fin sur le circuit du cercle », disait déjà Héraclite (frag 103)

(Suivent la conduite de la cure et les cinq résistances)

Noeud de Lacan


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